Ici retentit la voix du premier des grands prophètes d’Israël, Iesha‘yahou, dont le nom signifie « Yah sauvera », ce qui résume bien son message prophétique. Il est cité vingt-cinq fois dans le Nouveau Testament sous sa forme grecque Esaïas, d’où vient notre Ésaïe ou Isaïe. Sa signification est proche de celle de Iehoshoua‘ (Josué), Hoshéa‘ (Osée), Èlisha‘ (Élie) et Iéshoua‘ (Jésus).
Depuis le commentaire que J. C. Doederlein publia en 1775, il est généralement admis que ce volume comprend deux œuvres bien distinctes, celle de Iesha‘yahou lui-même (chapitres 1 à 39) et celle du « Second Isaïe » (ou Deutéro-Isaïe), œuvre anonyme écrite vers 550-540 (chapitres 40 à 66). La présentation de ces deux auteurs en un seul volume existait déjà au IIe siècle avant l’ère chrétienne. La tradition juive concorde avec la chrétienne sur un point: toutes deux ont enseigné que le livre d’Isaïe est l’œuvre d’un seul homme. Cependant l’hypothèse de Doederlein, reprise en 1780 par J. B. Koppe et avancée dès le XIIe siècle en Espagne par Abrahâm ibn ‘Ezra, a été confirmée par l’ordinateur auquel Y. T. Radday, en 1969 à Jérusalem, donna tous les éléments connus du problème. La réponse fut claire: il n’existe aucune possibilité raisonnable de penser que les deux parties du livre d’Isaïe sont l’œuvre d’un seul auteur. Depuis la découverte des 66 chapitres d’Isaïe parmi les manuscrits de la mer Morte, W. H. Brownlee pousse la différenciation plus loin. Il pense que les 33 premiers chapitres de l’œuvre forment un tout autonome nanti d’un appendice historique (chapitres 36 à 39). D’autres critiques considèrent que les dix derniers chapitres du volume ont été écrits par un Troisième Isaïe (Trito-Isaïe), le chantre de la fin des temps (chapitres 56 à 66).
La première partie de la vie publique de Iesha‘yahou (vers 739-732) commence par l’illumination qui s’empare de lui au sanctuaire de Jérusalem (chapitre 6). À l’appel de IHVH-Adonaï il répond: Me voici, envoie-moi. Il accepte d’être le regard et la voix de IHVH-Adonaï parmi un peuple et une humanité en plein désarroi. Il joue un rôle public lorsque la Syrie et Israël envahissent le royaume de Juda (733).
Comme le roi Ahaz (Achaz) passe outre à ses conseils, l’inspiré se retire de la vie publique: l’alliance avec l’Assyrie le renvoie à ses solitudes et à son silence (8,16-18). On suppose que, pendant ses années de désert, sa contemplation s’approfondit et qu’un cercle d’adeptes se forme autour de lui.
Quand Hizqyahou (Ézéchias), le fils et successeur d’Ahaz, règne sur Iehouda (716-687), Iesha‘yahou est plus libre d’exprimer ses pensées: l’une de ses « charges » date de l’année de la mort d’Ahaz (14,28-32). Alors, le roi Hizqyahou résiste un temps aux tentatives faites par l’Égypte pour l’entraîner dans la rébellion contre l’alliance assyrienne. Mais il finit par céder à la tentation d’une révolte dont il voit les avantages sans en mesurer tous les risques.
En 701, Sanhérib (Sennachérib) envahit le royaume de Iehouda, déporte la population des campagnes et met le siège devant Jérusalem; mais, comme Iesha‘yahou l’annonçait, l’impossible se réalise et la ville est sauvée (2 R 19,36; Is 37,36).
Ce poète et ce voyant est aussi un homme d’action qui sait faire entendre sa voix aux rois et aux hommes d’État, toujours prêt d’ailleurs à signer de son sang l’authenticité de ses paroles. Il entend servir de voix à son Elohîms et, à longueur de vie, il ne se départit jamais d’une certitude que fonde sa parfaite adhérence à l’être et au vouloir de IHVH-Adonaï. Homme politique dans le sens le plus élevé du terme, il préconise une politique de neutralité entre les deux blocs qui se partagent alors le Proche-Orient. C’était à coup sûr la voie la plus juste, même si elle pouvait paraître utopique au regard du réalisme politique des gouvernants de son pays.
Iesha‘yahou est un poète-né et l’un des plus grands d’Israël, créateur génial d’une langue qui ne cesse de nous émouvoir et de nous inspirer. Son style est toujours simple et direct. Mais son expérience humaine, large et profonde, donne une incomparable incandescence à son verbe et à sa pensée.
Car, par-dessus tout, l’inspiré est un contemplatif qui nous communique, avec sa vision, tout l’éclat de son illumination intérieure. Sa théologie, sans être dogmatique, émane du témoignage de sa personne, et explicitement ou implicitement de ses écrits.
Le Second et le Troisième Isaïe
À partir du chapitre 40, le livre nous fait faire un bond de deux siècles environ, passant de l’époque royale (VIIIe siècle) à celle de l’exil à Babylone (VIe siècle). C’est là que vit l’auteur des chapitres 40 à 55 d’Isaïe. L’exil d’Israël et de Iehouda, tant de fois prédit dans la Bible, et d’abord par Moshè, est maintenant un fait accompli. Jérusalem et le Temple sont en ruine, mais ils seront reconstruits grâce à Korésh (Cyrus), ainsi que l’annonce l’inspiré (44,26-28). Babylone sera châtiée, tandis que IHVH-Adonaï apportera à son peuple le réconfort promis.
Nous ne connaissons rien de l’auteur. Rien, dans le texte, ne transparaît de sa personne ni de sa vie, sinon sa vision et son style: nous sommes ici, du début à la fin, sur les hautes cimes de la révélation biblique.
Quant au chapitre 56 à 66, ils sont considérés par de nombreux critiques comme ayant été écrits en terre d’Israël vers la même époque, juste avant ou immédiatement après le retour d’exil.