Jérémie Introduction - CHU

La mort d’Assurbanipal, en 630, marque les débuts de la grande révolte contre l’empire assyrien. Babylone sous Nabopolassar (626-605) et la Médie sous Cyaxare (625-585) retrouvent leur indépendance et, ensemble, assiègent et détruisent Ninive en 612, pour se partager ensuite la plus vaste partie de l’empire assyrien.

Ces événements secouent le Proche-Orient. Du côté de l’Égypte, le pharaon Nékho tente vainement de se porter au secours des Assyriens qui, dans les sursauts de la fin, résistent à Harân. Nékho occupe des territoires en Syrie, mais ceux-ci sont bientôt repris par Nabuchodonosor (604-562). Le nouvel empire babylonien que bâtit ce dernier aura une puissance et un éclat qui éclipseront tout ce que le monde avait connu jusqu’alors.

Placé au carrefour des grandes voies de communication, le royaume de Juda subit le contrecoup de ces révolutions. Vassal de l’Assyrie, le roi Ioshyahou (Josias) doit affronter l’Égypte de Nékho. Il est vaincu et tué à Megiddo en 609. Yehouhaz (Joachaz) lui succède. Trois mois à peine plus tard, Nékho le convoque à Ribla et l’envoie, chargé de chaînes, en Égypte. Il le remplace sur le trône de Juda par son frère Yehoyaqîm (Joaqîm), dont il fait son vassal. En 605, l’Égypte est battue à Karkemish et passe sous le contrôle de Babylone. Mais Yehoyaqîm se révolte et refuse de payer le tribut. Son fils Yehoyakhîn (Joiakîn) lui succède en 597, et c’est alors que Nabuchodonosor vient mettre le siège devant Jérusalem. Le roi doit se rendre au bout de trois mois et est déporté à Babylone. Nabuchodonosor le remplace par son oncle Sidqyahou (Sédécias), qui cède au parti pro-égyptien et se joint à une ligue formée contre Babylone. En 588, Jérusalem est de nouveau assiégée, et elle succombe l’année suivante.

C’est au milieu de cette véritable tourmente que se place l’activité d’Irmeyahou (Jérémie) bèn Hilqyahou, dont le nom signifie « Yah élèvera », ou, peut-être, « Yah déliera ». Il est né à Anatot, village situé à quatre kilomètres et demi au nord-est de Jérusalem. C’est un kohèn, probablement un descendant d’Ebyatar (cf. 1 R 2,26-27). Il reçoit son appel prophétique en 626, alors qu’il n’est encore qu’un adolescent. Son action publique connaît une première période, jusqu’en 622. Il s’élève contre une corruption qui gagne les chefs religieux et politiques du pays, d’autant plus dangereusement que l’ennemi du Nord se fait de plus en plus menaçant. De cela, Jérémie a pleinement conscience: Israël est d’autant plus vulnérable qu’il trahit la foi de ses pères.

Après douze ans de silence sous le règne de Ioshyahou (Josias), Jérémie reprend son activité à l’avènement de Yehoyaqîm (609). Peut-être le jour même du couronnement, il se rend au Temple afin de prévenir le peuple contre un excès de confiance. La seule sécurité réelle vient de la pureté du cœur et de la justice des actes. Or nombreux sont ceux parmi les desservants, les chefs du peuple et les fidèles, qui transforment le sanctuaire en une caverne de voleurs. Cette attaque frontale du prophète dresse contre lui ceux qu’il met en cause: le roi, les princes, les desservants. On réclame contre lui la peine de mort. Il se défend en disant qu’il n’a parlé que sur l’ordre de IHVH-Adonaï.

La chute de Karkemish en 605 produit un effet profond sur le prophète. Il sent que le dénouement est proche; il éprouve un besoin urgent de mettre par écrit les discours prononcés par lui jusque-là. Leur lecture, faite devant le roi et ses ministres, fait scandale. Le prophète est arrêté et ses jours, cette fois encore, sont mis en danger.

En 598, quand Yehoyaqîm refuse de payer le tribut à Babylone, l’inspiré annonce en termes pathétiques la ruine prochaine de Jérusalem. Mais quand sa prophétie se réalise, il s’identifie au destin de son peuple, dans une élégie d’une poignante beauté (13,15-17). Lorsque le roi Yehoyakhîn est emmené en captivité, le prophète, inflexible, refuse de lui donner le moindre espoir pour lui et pour sa dynastie.

Sous Sédécias, en 594, alors que les Judéens rêvent d’une action concertée contre Babylone, le prophète, chargé d’un joug et de liens symboliques, mime publiquement le départ de son peuple pour l’exil. Il a l’audace de représenter Nabuchodonosor comme l’envoyé de IHVH-Adonaï, le fléau chargé d’exercer une vengeance céleste contre le peuple infidèle. Il est arrêté, battu, accusé d’avoir voulu passer à l’ennemi et jeté dans une fosse. En 597, Jérusalem est prise. Jérémie refuse tout traitement d’exception; il choisit de rester en Judée, auprès de Guedalyahou (Godolias), nommé gouverneur par les Babyloniens. Mais après l’assassinat de ce dernier, il est entraîné en Égypte par les fuyards qui redoutent la colère de Nabuchodonosor. Il semble qu’il y soit mort dans des circonstances inconnues.

Dans le livre publié sous son nom, la critique reconnaît trois genres distincts: les paroles écrites ou dictées par le prophète, des fragments biographiques peut-être rédigés par son secrétaire Baroukh (Baruch), et des compléments ajoutés par les derniers rédacteurs. D’autres exégètes insistent cependant sur l’unité fondamentale de l’œuvre. Celle-ci nous est parvenue en deux versions: celle du texte massorétique, suivi par la plupart des traductions modernes de la Bible, et celle des Septante, plus courte et présentée selon un ordre différent. La découverte des manuscrits de la mer Morte a confirmé l’existence d’une édition abrégée, en hébreu, du livre de Jérémie.

Disons enfin que cet ouvrage est à l’origine d’un genre littéraire nouveau dont l’influence se retrouvera dans les Psaumes. Jamais peut-être jusqu’alors, l’homme ne s’était analysé avec autant de ferveur, de passion et de vérité, pour exprimer ses doutes, ses tourments, sa détresse, ses angoisses; le tout dominé par une indéracinable espérance. Le génie de Jérémie a su inventer une langue nouvelle pour décrire la vie intérieure de l’homme fait à l’image et ressemblance de IHVH-Adonaï et devenu un vrai temple, au centre du monde. C’est lui aussi qui, le premier, a employé l’expression berit hadasha, « pacte neuf », qui désignera ultérieurement le recueil des écrits consacrés à Iéshoua‘ de Nazareth ou centrés sur lui.

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