Judith Introduction - CHU

Paul est né à Tarse entre 5 et 10 de l’ère chrétienne (Ac 22,3; et aussi 9,11.30;11,25; 21,39). Capitale historique de la Cilicie, la cité avait joui d’un statut privilégié à l’époque hellénistique puis lorsqu’elle fut conquise par les Romains en 66/67 avant l’ère chrétienne. Une importante communauté juive lui donne sa coloration particulière lorsque Shaoul, le « Demandé », vient au monde dans une famille juive pratiquante. Il est normalement circoncis à l’âge de huit jours et apprend à lire dans la Tora: pour lui la parole de IHVH-Adonaï est un livre qui vit chaque jour en lui et autour de lui au rythme des shabats, des fêtes bibliques et des rites synagogaux. Son père tient à faire de lui un docteur de la Tora et l’envoie à Jérusalem étudier aux pieds de Rabban Gamli‘él l’Ancien. Paul, chaque ligne de ses lettres l’atteste, en restera marqué durant sa vie entière. Et toute son existence, même après avoir quitté la secte des pharisiens pour adhérer à Iéshoua‘ bèn Iosseph, il continuera à pratiquer, dans l’esprit des pharisiens, et jusqu’à sa mort, la religion de ses pères. Paul est par surcroît parfaitement hellénisé. Sa famille, probablement aisée, a dû lui donner les meilleurs maîtres de la ville et son insertion dans le monde païen est facilitée par le fait qu’il jouit du privilège d’être, comme l’était Flavius Josèphe, citoyen romain nanti des tria nomina: son nom complet pourrait avoir été Caius Julius Paulus.

Hébreu, grec, romain: il porte en lui les ferments d’une contradiction éclatante dans sa manière d’être, de penser, de s’exprimer. Né au coeur d’un conflit de cultures et de civilisations, il est, à longueur de vie, un homme conflictuel, jusque dans sa manière de ressentir l’univers: la lumière contre les ténèbres, l’esprit contre la chair, la foi contre les oeuvres. Il est ainsi un polémiste né, qu’il se batte dans le camp des pharisiens ou, après sa conversion, qu’il porte la parole du messie Iéshoua‘ jusqu’au bout du monde. Son conflit personnel trouve alors sa solution dans la foi absolue en Iéshoua‘ le Messie, ce Jésus-Christ qu’il annonce aux nations: en lui, il n’est plus Juif ni Grec, homme ni femme, homme libre ni esclave, riche ni pauvre. Tout est un en un, par le miracle de l’amour crucifié et ressuscité dont Iéshoua‘ constitue la parfaite incarnation.

Ainsi libéré, Paul, ébloui, entreprend de convertir le monde à la foi nouvelle. Il importe d’autant plus d’élucider ce point qu’il est le plus souvent estompé par l’exégèse traditionnelle.

En effet, Shaoul de Tarse a, plus que tous, souffert des confusions nées après le tragique renversement des situations, issu du désastre de 70. Sa pensée prend une signification diamétralement différente selon qu’elle est ou non interprétée par rapport aux réalités politiques et spirituelles qui précédèrent la destruction du Temple et du peuple d’Israël. Mais, bien que Paul ait probablement été décapité à Rome, par les Romains, vers l’an 66, sa pensée, à cause peut-être du rôle déterminant qu’elle a joué dans la formation de l’Église, est constamment interprétée comme si elle avait été formulée après le désastre de 70. Cela est vrai pour la plupart des exégètes chrétiens, insuffisamment attentifs aux réalités internes du monde juif comme à la révolution provoquée en Israël par le traumatisme de son écrasement par Rome. Cela est également vrai pour les adversaires juifs de l’apôtre des Gentils, sans doute peu soucieux de s’informer de la chronologie paulinienne et qui voient en Paul l’ennemi d’Israël, l’auteur du schisme judéo-chrétien, le principal responsable des malheurs que ce schisme ­ et les mesures antijuives qu’il a inspirées ultérieurement à l’Église ­ a valus aux Juifs qui avaient échappé au génocide perpétré par l’Empire romain. Une rigoureuse analyse des faits, compte tenu de leur contexte historique, aboutirait de part et d’autre à une plus juste appréciation de la vie et de l’oeuvre d’un des plus puissants génies juifs de l’histoire.

À la différence d’une importante fraction du judaïsme hellénisé, Paul n’a jamais rompu avec ses racines hébraïques et rabbiniques, et il resta inébranlablement fidèle jusqu’à la mort à l’Elohîms et au peuple d’Israël: comme ce fut le cas pour Iéshoua‘, il fut condamné à mort par les Romains en tant que juif rebelle. Malgré l’antilégalisme qu’on lui prête systématiquement sans trop se soucier de la signification réelle de ses analyses sur la foi et la loi, Paul est resté toute sa vie un Juif fervent et pratiquant. Il trouvait dans les communautés juives de la diaspora un accueil généralement ouvert. La chronologie de ses voyages est fixée en fonction des fêtes juives. Les résistances que les pharisiens, quand ils le peuvent, opposent à son action étaient normales dans l’affrontement général des sectes de son temps; ils s’opposaient avec autant d’énergie aux enseignements des sadducéens, des esséniens ou à la propagande des zélotes. De nos jours encore un rabbin, de quelque obédience qu’il soit, orthodoxe, conservateur ou libéral, n’est jamais accueilli sans réserve ni sans risques dans la synagogue d’une tendance qui n’est pas la sienne.

Quel que soit l’antilégalisme de Paul, celui-ci devait paraître moins grave aux yeux des maîtres du pharisaïsme que l’allégorisme systématique de Philon, par exemple. Paul, de toute manière, n’a jamais rompu et n’a jamais demandé aux juifs de rompre avec la pratique des misvot, ou commandements de la Tora. Il souhaitait par-dessus tout que cette pratique ne s’exerce jamais sans l’adhérence de la foi et de l’amour (Rm 13,8-10). Même au regard des rabbis les plus intransigeants, la pratique des misvot n’était obligatoire que pour les Hébreux, et non pour les païens.

Paul est passionnément en quête d’une solution qui permette la réconciliation des Hébreux et des nations, sans fermer devant ces dernières, par trop d’exigences, les portes du royaume. Lui-même circoncit Timothée, le fils d’une juive et d’un gentil, fidèle en cela à la stricte définition de la loi des pharisiens. Au retour d’une de ses missions dans la diaspora, il entend prouver ostensiblement qu’il se conduit en observateur fidèle des misvot et, publiquement, il célèbre au Temple de Jérusalem les rites traditionnels de la purification.

Paul est plus profondément juif lorsqu’il fait de l’histoire, et plus particulièrement de l’histoire de son peuple, le fondement de sa pensée théologique: les chapitres 9 à 11 de la lettre aux Romains constituent l’une des apologies les plus éloquentes d’Israël. Le rejet dont il parle n’est pas encore une notion théologique abstraite des réalités de la vie ou plaquée sur elles, comme conséquence du mythe obsessionnel du déicide, ce qu’il deviendra aux IIe et IIIe siècles, et plus lourdement encore au IVe siècle après la conversion de Constantin. Le rejet d’Israël est alors, davantage qu’un slogan antisémite, la lourde, la cruelle réalité politique dans laquelle les Juifs se débattent sous le joug de Rome. Paul finira par mourir lui aussi, victime des Romains impérialistes et païens, en tant que Juif, en tant que fils d’Israël et qui servait un autre roi que César, Iéshoua‘, un autre Dieu que les dieux de Rome, IHVH-Adonaï Elohîms.

Pendant des siècles l’Empire romain, après avoir écrasé Israël et rasé Jérusalem, allait persécuter les chrétiens avec la même férocité. Et l’on se prend à rêver d’un dialogue entre César et le Christ ou Paul, comparable à celui de Moshè avec Pharaon dans l’Exode.

Treize lettres constituent l’édifice théologique dont l’imagerie ne cesse d’interpeller, au-delà de leurs destinataires, l’humanité entière, posant devant elle les problèmes les plus décisifs, ceux de la vie et de la mort et, au-delà de la mort, d’une résurrection qui permette ­ et déjà sur terre ­ la contemplation du royaume de IHVH-Adonaï.

Une lettre est un document écrit employé en tant que moyen de communication entre des personnes séparées par la distance.

On trouve occasionnellement des lettres dans la Bible hébraïque (2 S 11, 14-15; 1 R 21,8-10); dans le Nouveau Testament, les treize lettres pauliniennes, la lettre aux Hébreux, les sept lettres dites catholiques, constituent, avec les Évangiles, les Actes des Apôtres et l’Apocalypse, les Écritures nouvelles ayant autorité révélée, de source divine pour les chrétiens.

Le grec epistolè désigne ce que l’on dénommait jadis des « épîtres », et que nous appelons de nos jours des lettres. Voici deux mille ans, chez les Grecs, chez les Romains comme chez les Hébreux, la lettre est écrite non plus sur des tablettes d’argile, mais sur des feuilles de papyrus ou sur des morceaux de parchemin, pliés ou roulés. Elles sont scellées avant d’être envoyées par courrier privé à leur destinataire. Le service postal officiel, dans l’Empire romain (cursus publicus) était réservé aux besoins de l’administration et ne se chargeait pas du courrier des particuliers.

Les lettres de Paul, comme les autres écrits du Nouveau Testament, ne peuvent être datées que bien approximativement. Voici, en fonction des critères internes ou externes qui ont pu être réunis en la matière, les dates auxquelles les différentes lettres ont pu être écrites.

Lettres ­ Lieu de composition ­ Année

1er et 2e aux Thessaloniciens ­ Corinthe ­ 50/51
Philippiens ­ Éphèse ­ 55/57
Galates ­ Éphèse ­ 55/57
1er aux Corinthiens ­ Éphèse (?) ­ 55/57
2e aux Corinthiens ­ Macédoine ­ 55/57
Romains ­ Corinthe ­ 57/58
Colossiens ­ Rome (?) ­ 61/63
Éphésiens ­ Rome (?) ­ 61/63
Philémon ­ Rome (?) ­ 61/63
1er à Timothée ­ Macédoine (?) ­ 63/65
Tite ­ Macédoine (?) ­ 63/65
2e à Timothée ­ Rome (?) ­ 64/66

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