Shir ha-shirîm, Poème des poèmes, c’est-à-dire Poème par excellence: tel est le titre que se donne lui-même le premier des « Cinq Volumes », et qui a été intitulé en français « Cantique des cantiques », par simple transcription du latin. Il est rapporté à Shelomo (Salomon), le sage entre les sages, sans qu’on puisse dire si le relatif asher désigne ce roi comme auteur ou comme destinataire de ce texte admirable.
Une lecture attentive des cent dix-sept versets qui le composent révèle deux plans de signification qui se marient: un plan humain, où l’auteur met en scène un homme et une femme unis par l’amour, et un plan cosmique relatif à la création entière. Les lecteurs qui ne verraient ici qu’une histoire d’amour élimineraient, consciemment ou non, les vastes horizons d’où cet amour surgit et dans lesquels il se meut. C’est dans l’universalité du réel que naît l’amour. Aussi la poésie hébraïque marie-t-elle ici l’humain au cosmos; elle voit le réel sous la forme d’un homme, et dans cet homme la totalité de l’univers.
L’unité de l’œuvre se dégage, comme celle d’une symphonie, des thèmes qui la composent et s’y affirment tour à tour. Le premier est celui de la genèse de l’amour. On doit lire le deuxième verset, non comme un simple vœu, mais comme une certitude: l’amour est présent; l’amante est sûre que son amant la baisera des baisers de sa bouche. Le triomphe final de l’amour absolu est, dans sa genèse même, un acte de foi, d’adhérence.
En contrepoint surgit le deuxième thème, celui de l’exil (3,1-5). L’amante recherche l’amant absent. Après avoir été simplement esquissé, ce thème disparaît pour laisser la place à celui de la contemplation amoureuse. Porté dans un palanquin, le roi s’avance vers son aimée. L’ayant retrouvée, il ne cesse de la chanter et d’exalter sa beauté.
La partie centrale du poème est la plus importante; c’est elle qui donne toute sa signification à l’œuvre. Le thème de l’exil, de la solitude et de la souffrance est repris à fond. L’amante, plongée dans un demi-sommeil, n’a pas répondu à l’appel de l’amant. Celui-ci renonce à elle et part, la laissant à sa solitude, à son exil. Elle y affronte de nouvelles et plus cruelles épreuves. Sa quête fidèle de l’amour la sauve. Le couple se recherche à nouveau dans la joie de la contemplation d’amour.
Le troisième thème explose enfin dans la joie des retrouvailles: l’exil a pris fin, la souffrance est rédimée. Les amants se réunissent dans la suavités des noces éternelles, dans le printemps nouveau qui ne passera pas. Au paroxysme de la passion assouvie, ils célèbrent l’amour réalisé dans la mutation de l’être, scellé à jamais, inexorable comme la mort.
Les trois motifs fondamentaux qui forment la trame du poème se retrouvent en profondeur dans la Bible tout entière, traversée, elle aussi, par le triple thème de la création, de la chute ou de l’exil et de la rédemption. Unique entre tous les livres bibliques, le Poème des Poèmes s’affirme en même temps comme le plus complet, le plus universel, et peut-être le plus parfait. Un des livres les plus courts de la Bible, et l’un des plus nécessaires. Rabbi Aquiba l’a dit: « Le monde n’avait ni valeur ni sens avant que le Poème des Poèmes fût donné à Israël. » En lui, nous lisons le poème sacré par excellence, celui qui célèbre l’amour absolu, dans des perspectives et sur des rythmes qui font écho à la sublimité du chant des univers.