Comme de coutume, le titre hébraïque du livre, Mishléi, est aussi son premier mot: Mishléi Shelomo, « Exemples de Shelomo » (Salomon). Les LXX le traduisirent par Paroimiai, et la Vulgate par Proverbia. Le terme mishléi dérive de mashal (en arabe masala, en assyrien masâlu, en araméen metal) dont le premier sens désigne ce qui se tient debout, ce qui est érigé: manière d’être, susceptible ou non d’être imitée, cas, événement particulier, fait précis qui sert à confirmer, illustrer, préciser un enseignement. Mieux que Proverbes ou Paraboles, Exemples me semble traduire cette notion de mashal: exemples bons ou mauvais que l’auteur nous propose, suivant le cas, sous forme de proverbe, de dicton, de discours inspiré, de parabole, de poème ou de sentence. Ce qui est essentiel, sous la forme qui l’exprime, c’est l’exemple à imiter ou à fuir, le fait objectif que décrit le proverbe. Ainsi le sens premier de mashal couvre bien le contenu de ce livre magistral. L’insertion des Exemples de Shelomo dans le canon de la Bible n’a pas été sans controverse à cause de ses contradictions internes. En effet ce livre est composé de plusieurs recueils qui reflètent des enseignements parfois contradictoires.
Dès le début l’auteur s’adresse à son fils, selon un procédé classique chez les Hébreux, les Égyptiens, les Mésopotamiens. Il fait parler la sagesse pour qu’elle puisse elle-même mettre les humains en garde contre la folie (1,20-33). Le volume entier constitue un incessant plaidoyer pour démontrer la supériorité de la sagesse sur la démence: les exemples déferlent sans grand ordre logique pour convaincre le lecteur de se soustraire au mal et de faire le bien. L’opposition est constante entre les deux voies, celle des criminels et celle des justes. Nous retrouvons là l’enseignement constant de la Bible: le monde est cassé en deux et il n’est pas sans conséquence de se situer dans la lumière de IHVH-Adonaï ou dans la nuit du criminel. À ce niveau de signification, l’auteur décrit la femme étrangère qu’il oppose à la femme de valeur: l’une œuvre pour la mort, l’autre pour la vie. La femme étrangère reprend un thème central dans la littérature sapientiale (on le rencontre aussi dans la Sagesse d’Ani, conseils d’un scribe égyptien à son fils). La sagesse et la folie sont personnifiées et interviennent sous forme de femmes qui appellent l’une au bien, l’autre au mal. Cette allégorie achève la première partie du volume. Le deuxième recueil (10,1-22,16) groupe des sentences brèves rassemblées sans ordre logique apparent, avec des doublets et des repétitions.
Les recueils suivants achèvent de donner les enseignements de la sagesse d’Israël: celle-ci a ses caractères propres, mais elle a des rapports évidents avec les traditions des peuples d’Orient: les Iduméens, Tyr, l’Égypte, la Mésopotamie, l’Arabie, Canaan avaient un vaste trésor sapiential. Et l’on finira par préciser un jour les voies de communication qui ont pu exister entre les civilisations du Proche-Orient et celles de l’Extrême-Orient. Ici, nous sommes en présence d’une sagesse écrite en hébreu mais dépouillée de tout caractère nationaliste: les antithèses (juste-criminel; route du bien-route du mal; femme étrangère-femme de valeur) ne se complètent pas, comme dans les Psaumes, par le couple ennemi: Israël-Nations.
On a depuis longtemps rapproché ce volume des sources de la sagesse égyptienne et notamment des instructions d’Aménémopé: cette œuvre, dont le manuscrit semble remonter au VIe siècle et qui peut avoir été écrite antérieurement, jusqu’au Xe siècle, présente d’évidentes similitudes de forme et de fond avec Pr 22,17-23,11. Trois explications ont été données à ces parallélismes: le texte hébreu est la traduction de l’égyptien; l’égyptien traduit l’hébreu, et enfin tous deux dépendent d’une troisième source antérieure, égyptienne elle aussi, qui aurait été connue en Israël grâce à l’entremise d’une version cananéenne. En dehors de ces sources égyptiennes, le volume des Exemples s’apparente à des écrits du même genre: instructions de Shouroupak à son fils, attestées à Sumer dès le XXVe siècle, proverbes babyloniens, proverbes araméens d’Ahiqar (retrouvés sur des papyrus du Ve siècle).
Cependant, les Exemples de Shelomo s’insèrent dans la tradition hébraïque. Ils ont d’abord un but pédagogique: il s’agit de donner à l’enfant les clés du savoir traditionnel. Les formules sont lapidaires, écrites pour être apprises par cœur et chantées. Lorsque le développement le permet, l’auteur a recours au poème alphabétique, comme dans l’émouvant éloge de la femme de valeur (31,11-31). Chaque verset y commencc par l’une des lettres de l’alphabet, dont la suite favorise la mémorisation. Le style direct (Entends, mon fils...), le génie de la formule frappante, l’usage constant du chiasme; l’emploi du parallélisme, de l’allégorie; le choc constant des contraires; la clarté et parfois la violence des images font de ce volume une sorte de film tant le style en est concret. L’idée s’exprime toujours au plus proche du réel par le geste qui la révèle, toujours décrit avec une extrême économie des moyens.
Entre le juste et le criminel, le sage et le fou, apparaît le niais (péti), celui qui ne demande qu’à se laisser former par la discipline du père et le conseil du sage. Le précepte est impératif: il impose, sans discussion possible, l’enseignement à l’élève pour former son intelligence, son jugement, son caractère. La répétition, sous des formes différentes, des mêmes exemples (20,13-24,33-34;25,16-25,27) fait partie d’une technique pédagogique qui entend imprégner l’esprit par le contenu de l’enseignement. Et les variantes sont voulues pour dissiper les ombres, écarter les objections: nous sommes en présence d’une technique d’écriture définie par une tradition millénaire. Les exemples choisis reflètent à la fois les exigences d’un enseignement transcendant et les réalités d’un ordre social déterminé: mais l’axe de mesure est toujours l’homme, son bien, son épanouissement. La valeur suprême est la vie, respectée sous toutes ses formes: l’aspiration au bien est une conséquence du respect du réel dans un univers qu’Elohîms a créé et qui est, par conséquent, l’univers du bien. De ce fait, la morale n’est jamais distincte de la métaphysique ou de la biologie qui en constituent les sources.
Malgré la variété des recueils qui composent ce volume et des genres qu’il met en œuvre, la doctrine en est homogène: si la vie est la valeur suprême, la sagesse en est la gardienne. Elle est l’arbre de vie par excellence, donc le bien suprême. Le sage a pour vocation de l’enseigner à ses disciples, de leur permettre l’accès de son mystère, la maîtrise de ses disciplines. Au cœur de cette problématique se situe la question du mal et de la rétribution des actes: ici, il est clair que le bien mène à la vie et le mal à la mort, et que la vie est supérieure à la mort. Le juste est toujours heureux, toujours en possession du bonheur parfait. Le criminel est par nature perdant: ses succès ne peuvent être qu’apparents, provisoires. La maison des criminels sera détruite. Le volume d’Exemples n’aborde pas le problème de la souffrance du juste écrasé par le triomphe des criminels. Ce thème, central dans Iob (Job), est aussi l’une des préoccupations d’Irmeyahou (Jérémie). Mais ici, le but de l’ouvrage, essentiellement pédagogique, est différent. La discussion de fond est remplacée par cette affirmation massive: à coup sûr, le criminel sera châtié.