Chef-d’œuvre écrit à l’âge d’or de la création poétique d’Israël, probablement à l’époque du premier Temple, le livre de Iob (Job) a été attribué par une certaine tradition hébraïque à Moshè (Moïse). Il constitue le premier roman métaphysique de la littérature universelle, et sans doute un de ses sommets. Ses rythmes nous transportent aux sources d’une connaissance nouvelle de l’homme et de son mystère.
Une antique légende populaire, mettant en scène le juste mis à l’épreuve par Satan, fournit le thème d’un poème lyrique. Le caractère universel de l’œuvre est souligné par le fait que Job n’est ni un Judéen ni un Israélite, mais un Iduméen.
Incité par Satan, Elohîms permet que Job perde ses enfants et ses biens, et qu’il soit durement frappé dans son corps par un mal apparemment incurable. La souffrance du juste permet ainsi d’évoquer le problème ontologique du mal.
Une question centrale domine l’œuvre: comment apprécier le destin de Job par rapport aux règles généralement admises de la rétribution? La souffrance du juste doit-elle faire douter de l’ordre moral universel ? Le drame atteint aux dimensions de la tragédie: Job est déchiré au plus profond de son être; il ne comprend plus la justice de cet Elohîms qu’il persiste à reconnaître et à adorer. Job le Sage est amené à se révolter contre Job le Juste. Job a perdu davantage que ses enfants et ses biens: il est atteint aux sources désormais taries de son être, dans sa confiance en la justice de IHVH-Adonaï. L’audace de la pensée se fait insurpassable lorsque, ayant renoncé à tout, ayant accepté de tout perdre, il s’accroche à l’ultime bien qui lui reste et qui est pour lui le plus précieux: sa justice. Qu’Elohîms lui prenne ses enfants, sa santé, ses biens, il le comprend et il l’accepte. Mais il ne peut douter de ce qui est une évidence à ses yeux: sa vertu de justice, qu’il érige soudain en impératif absolu, en vertu autonome, disjointe de l’espérance et même de la foi, puisqu’elle accuse IHVH-Adonaï et le met en demeure de se justifier. La justice de l’homme, au-delà de la crainte et de l’espoir, accuse un échec qui semble dénoncer la faillite de la justice divine.
La tradition hébraïque ultérieure n’hésitera pas à voir parfois en Job un révolté et un blasphémateur (Talmud, Baba Batra, 15-16). Jamais sans doute la pensée d’Israël n’aura été plus loin dans son audace, n’aura autant dépouillé l’univers de son mythe. Jamais l’affirmation de l’homme n’aura été portée aussi loin que par cette victime rongée par son mal et pourtant le surmontant, ivre de justice, malade d’amour.
Entre le défi de Job et la réponse de IHVH-Adonaï, nous sommes tenus en haleine par les discours d’Elihou, de la tribu de Bouz, au nord de l’Arabie occidentale. Loin d’être un ajout tardif, son poème semble bien exprimer la pensée de l’auteur avant l’ultime théophanie (ch. 32-37). Elihou commence là où Job aboutit. Il admet que la souffrance n’a pas choisi Job en raison de ses fautes. La personne de son interlocuteur importe moins à ses yeux que l’existence de IHVH-Adonaï, dont il lit les preuves dans l’histoire et dans la nature. Elohîms, qui a créé l’univers, pourrait-il lui retirer son chérissement, alors que le réel ne vit que par lui ? Pourrait-il exclure l’homme de son amour et de sa justice ? La nature comme l’esprit sont le fruit de la grâce divine. La conscience morale qui torture Job lui vient de IHVH-Adonaï, de même que la connaissance du Bien et du Mal. Comment celui qui a donné la Tora et lui a soumis l’universalité du réel saurait-il se situer lui-même en dehors de ses exigences ? Job et ses amis ont également tort, puisqu’ils excluent de IHVH-Adonaï le mystère de son amour.
Ce mystère culmine lorsque IHVH-Adonaï apparaît et que sa voix se fait entendre. Il n’est plus question alors de tentations ni de souffrances, de doutes ou de révoltes. La réalité surnaturelle, celle qui résout dans le chérissement toutes les tensions, toutes les contradictions de la nature, réconcilie, dans la contemplation du mystère, Job le Juste et Job le Sage. Abraham retrouve Isaac sur lequel il avait levé le couteau sacrificiel. Ainsi Job franchit-il la nuit de la révolte et renaît-il dans la lumière et le bien d’Elohîms.