Esaïe Introduction - AMI

Le premier des prophètes dans l’ordre de la Bible, il l’est aussi par la richesse de son enseignement, par son style et sa poésie, qui en font l’émule des grands classiques de l’humanité. (Sur le prophétisme et les prophètes, voir la note relative à Isaïe I, 1). L’ouvrage se divise en trois grandes parties :
1° I – XXXIX. Ce sont diverses collections d’oracles, recueillis par Isaïe lui-même, par ses disciples ou ses amis; aussi n’y doit-on pas chercher d’ordre logique, encore moins chronologique. Quatre sections visent les événements du VIIIe siècle contemporains du Prophète : I – XII (surtout contre Juda), XIII – XXIII (surtout contre les nations païennes), XXVIII – XXXIII et XXXVI – XXXIX (partie historique parallèle à IV Rois XVIII – XX). Deux apocalypses (XXIV – XXVII et XXXIV – XXXV), concernant une autre époque, s’y trouvent incluses. C’est le temps du grand drame assyrien, menace d’une ruine totale pour le petit royaume de Juda, après la chute de Samarie en 722 (voir Introduction à IV Rois). On ne peut rappeler ce milieu historique sans constater l’action importante d’Isaïe. D’une grande famille de Jérusalem, il a l’audience des rois ; il est animé d’un vrai patriotisme et a le sens des réalités. Il est donc richement doué pour la mission spirituelle que lui confie Dieu en 738, lors d’une vision grandiose que raconte le chapitre VI. Son ministère et sa doctrine y sont en germe. Il doit rappeler au peuple prévaricateur les exigences du Dieu très-saint : sainteté extérieure (ou séparation d’avec le profane) et intérieure (pratique des vertus morales). Il doit proclamer les certitudes que donne le Dieu transcendant : maître de l’histoire, il en utilise les événements pour réaliser son plan salvifique : châtier l’orgueil humain, où qu’il soit ; implanter solidement son règne en Israël par un nouveau David bien supérieur à son aïeul, roi et prêtre comme lui, sage et pacifique plus que Salomon, prince universel et éternel. Que Juda ne craigne donc pas les géants qui l’entourent, mais demeure soigneusement étranger à leurs querelles. Par lui, Dieu étendra son règne au monde entier, et l’univers purifié, gouverné par le roi davidique de Jérusalem, connaîtra le bonheur messianique.
2° XL – LV. Tandis que les chapitres précédents sont le type des exhortations parlées, aux images éblouissantes, fortes et concises, la deuxième partie du livre, d’un style également élevé et d’une haute poésie, s’en distingue néanmoins par la majesté et l’abondance, par un vocabulaire caractéristique et une certaine tendance dramatique ; ces oracles semblent avoir été directement écrits. Ils se divisent en deux groupes : XL – XLVIII : Dieu, maître de l’histoire, a désigné Cyrus, expressément nommé, pour ruiner la puissance babylonienne ; il a déjà commencé ses campagnes victorieuses et les Juifs captifs envisagent leur libération prochaine. XLIX – LV : Cette délivrance ne peut plus tarder, et le Prophète annonce la restauration de Sion. Le salut promis doit s’étendre d’ailleurs à tous les peuples ; Dieu le leur procurera gratuitement, en opérant la conversion des cœurs ; les peuples adhéreront au monothéisme moral d’Israël, sans qu’ils soient désormais tenus de s’agréger à la nation juive. Ce salut universel sera l’œuvre du Serviteur de Yahweh (XLII, 1-9 ; XLIX, 1-7 ; L, 4-11 ; LII, 13 – LIII) ; martyrisé et ressuscité, prophète et sage, lumière du monde, il sera le rédempteur universel, satisfaisant pour tous les péchés des hommes : c’est, dans tout l’Ancien Testament, un sommet doctrinal.
3° LVI – LXVI. Le style est sensiblement différent ; l’accent de ces chapitres est plus individualiste, et l’on y trouve des citations textuelles de la deuxième partie, interprétées d’ailleurs dans un sens différent. Peut-être faut-il en excepter les chapitres LX – LXII, ce qui détermine ainsi trois sections. Il n’y est plus question de la rédemption ni du retour d’exil ; bien au contraire, l’auteur semble se situer au sein de la communauté sioniste; le Temple est reconstruit (516) ; mais l’on souffre les difficultés et les déceptions de la réinstallation parmi des païens hostiles. Aussi bien, le Prophète ne voile pas les fautes de son peuple ; le salut messianique n’est promis qu’aux humbles, à ceux qui imitent le Serviteur de Yahweh ; tous les autres, quelle que soit leur origine, sont voués à la condamnation. Les païens certes sont appelés au salut, mais dans le cadre d’Israël, conçu comme une église ouverte aux convertis : c’est à Jérusalem, et plus précisément au Temple et par son culte, que les peuples doivent venir adorer le Seigneur.
Ces trois parties du livre diffèrent donc notablement par leur cadre historique, leur doctrine et même leur style. Les deux dernières sont-elles d’Isaïe ? En juin 1908, la Commission Biblique déclarait insuffisants les arguments allégués en faveur d’une réponse négative ; mais elle invitait les exégètes à poursuivre l’étude du problème. « Il nous semble qu’aujourd’hui il ne faudrait plus hésiter à affirmer la « vraisemblance », de mieux en mieux reconnue, de la thèse de la non-authenticité isaïenne, de ces chapitres XL et suivants. L’unanimité de l’opinion exégétique catholique en ce sens devient de plus en plus claire, bien qu’elle ne s’affirme encore par écrit qu’avec modération. » (L. Levie, s. j., dans Nouvelle Revue Théologique de Louvain, 1948, page 656)

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