Ce premier des livres dits « sapientiaux » ou « didactiques » est un magnifique poème, présentant comme toute poésie véritable une grande élévation de pensée ; la forme est celle de la poésie sémitique, spécialement caractérisée par ce qu’on appelle le parallélisme, dont, de nos jours, l’œuvre d’un Péguy peut nous donner une idée : reprise insistante, sous des formes différentes mais analogues, d’une même image ou d’une même idée, qui va s’enrichissant, se précisant.
C’est l’œuvre d’un Juif palestinien, à l’esprit ouvert, observateur, connaissant les grands problèmes que débattaient les sages, probablement aussi grand voyageur. La langue aramaïsante, et les influences littéraires qu’on peut déceler (IIe partie du Livre d’Isaïe, Zacharie) permettent de dire qu’il écrivait entre 500 et 450.
Il met en scène un personnage du passé, Job, du pays de Hus, aux confins de l’Arabie, que la tradition regardait comme un saint : voir Ézéchiel XIV, 14-20, qui le compare à Noé et au héros phénicien légendaire Danel,
A partir de ce fond traditionnel, le poète de génie a construit une narration largement fictive (I – II et XLII), encadrant des pages splendides, qui sont en même temps une thèse. Job est le juste pour qui la souffrance ne peut être une punition de péchés qui n’existent pas ; il laisse échapper des cris profondément humains, mais qui n’altèrent pas son sens religieux très élevé : quel est le sens de la vie, pourquoi la souffrance du juste ?
Le problème est débattu sous forme de dialogues (III – XXXI) : trois amis de Job défendent la solution alors classique : la souffrance est une punition du péché. Mais rien ne vaut contre un fait, et Job a bien conscience de son innocence ; ses protestations montrent la caducité de la thèse classique, qui est désormais insuffisante, du moins pour les penseurs ; il faut autre chose ; peut-être y a-t-il en XIX, 23-27, une espérance pour l’au-delà : mais ce texte est bien contesté.
Les discours du jeune Éliu (XXXII – XXXVII) apportent-ils la lumière ? Pour lui, la souffrance est une épreuve temporaire, visant à vérifier la solidité de la vertu ; mais cet argument peut déjà se retrouver dans les discussions antérieures ; d’ailleurs ces chapitres fort discutés semblent bien refléter la mentalité du Livre de Malachie, et avoir été ajoutés par un auteur inspiré, peu après 450.
La solution du poète inspiré est contenue dans le dénouement du drame (XXXVIII – XLII). Dieu lui-même apparaît pour clore les discussions : le problème du mal et de la souffrance est un mystère inévitable ; l’homme, partout tenu en échec par l’énigme du monde, n’a qu’une intelligence bornée ; il ne doit point juger le Créateur, mais s’incliner devant lui ; c’est de la sagesse de Dieu et de sa bonté que relève le mystère de la souffrance. L’auteur termine donc par un acte de foi totale en la justice et en la bonté divines.
Sans doute cette attitude d’expectative n’est qu’une solution provisoire ; mais cette œuvre, qui d’autre part a un caractère universaliste très prononcé, marque une étape importante dans le développement de la pensée juive : on ne peut plus s’en tenir à la position sereine du Livre des Proverbes ; le problème de la souffrance et du sens de la vie est posé dans son acuité ; si Sagesse III et II Machabées XII en soupçonnent déjà la solution, celle-ci ne sera mise en pleine lumière que par le Christ.