C’est une véritable œuvre d’art, comparable au Livre de Ruth. On y raconte comment, sous le roi perse Assuérus (probablement Xerxès Ier (485-465), le vaincu de la deuxième guerre médique), les Juifs furent sauvés de l’extermination par leur compatriote Esther, qui, élevée à la dignité de reine, intervint avec succès en leur faveur :
1° I, 1 – X, 3, dont on a le texte hébreu, disent le péril que couraient les Juifs, à cause du grand-vizir mède Aman; la nièce de Mardochée, Esther, devenue reine, obtient la disgrâce d’Aman
qui sera pendu
et la faveur royale pour les Juifs ; ceux-ci reçoivent licence de se venger de leurs ennemis. Journées d’allégresse, que devait commémorer la fête des Phurim (Sorts), alors instituée.
2° X, 4 – XVI sont des fragments complémentaires, qui furent peut-être rédigés en hébreu, mais ne nous sont parvenus qu’en grec ; on y trouve d’ailleurs des documents, comme les deux édits d’Assuérus. Ils mettent en relief la puissance de Dieu, et invitent à la confiance et à la piété (par exemple les prières de Mardochée et d’Esther). Ces fragments sont en relations organiques avec le texte hébreu, et s’y insèrent tout naturellement pour donner un tout homogène.
L’ensemble est vraiment composé, au sens actuel du mot : la narration alerte rapproche les contrastes, prépare habilement le dénouement et l’effet dramatique, entretient l’intérêt. Mais ce drame est-il historique On doit y reconnaître, et ce n’est pas un de ses moindres charmes, l’exactitude de l’information topographique ou historique (mœurs et institutions perses), voire psychologique : il y a vraiment précision et couleur locale. D’ailleurs, l’auteur entend bien raconter les origines historiques de cette fête des Phurim, signalée par II Machabées XV, 36 : elle commémore certainement un fait réel, car, à l’époque où elle apparaît, les Juifs n’auraient jamais accepté un emprunt pur et simple au polythéisme. Toutefois, constatant d’une part les réelles difficultés de quelques détails, et d’autre part l’art remarquable de l’auteur, on dira qu’il a composé, non un simple roman historique, mais la narration libre d’une histoire vraie.
Son intention est de faire connaître en quelles circonstances naquit la fête des Phurim, au sens intensément nationaliste
et, par là, de ranimer la confiance dans le Dieu tout-puissant qui n’abandonne pas son peuple au milieu des épreuves.
Ce nationalisme sec et austère, s’opposant à l’antipathie dont les Juifs sont généralement l’objet et dont l’auteur a conscience, évoque la période grecque, et plus précisément, semble-t-il, le temps des Machabées ; la langue et le genre de l’ouvrage sont des indices de même sens ; on peut donc dire que l’auteur était un Juif érudit, vivant quelque temps après la période perse, au IIIe, ou mieux au IIe siècle.