L’apocalypse, ou le livre des révélations faites à saint Jean l’Évangéliste, lorsqu’il était exilé dans l’île de Patmos, ne contient presque autre chose que l’histoire de ce qui s’était passé depuis le premier avènement de Jésus-Christ, et les prophéties de ce qui doit arriver jusqu’à la consommation des siècles ; et cela sous des figures, des emblèmes et des allégories qui en rendent l’intelligence difficile, et le sens obscur et presque inintelligible ; mais, entre ce grand nombre de figures et d’hiéroglyphes difficiles à entendre, et à appliquer même à des choses qui sont déjà arrivées, il ne laisse pas d’y avoir non-seulement des instructions très-propres à nourrir et à soutenir la foi des fidèles, et des avertissements terribles et capables de réveiller l’assoupissement de ceux qui vivent dans le dérèglement et dans l’amour des biens et des plaisirs de ce monde ; on y fait sentir la grandeur et la magnificence de la béatitude promise à ceux qui seront fidèles à Jésus-Christ et les horreurs et les châtiments épouvantables qui attendent ceux qui lui seront infidèles ; on y décrit les combats et l’antipathie qu’il y aura jusqu’à la fin du monde, entre les habitants de Jérusalem, c’est-à-dire les élus de Dieu, et ceux de Babylone, c’est-à-dire le démon et ses enfants ; on y établit presque partout la divinité de Jésus-Christ, son règne éternel, et le triomphe de ses disciples, la résurrection générale, la gloire des saints et la majesté de la toute-puissance de Dieu. Les trois premiers chapitres ne sont pas si obscurs que les suivants ; saint Jean y exhorte à la fidélité des sept Églises d’Asie, qu’il avait gouvernées longtemps, et y parle de ce qui s’y passait alors ; il y loue les uns, et y menace les autres. Le quatrième chapitre et les suivants contiennent les prophéties de l’avenir, sous des figures et des hiéroglyphes obscurs et cachés, et prédisent la destruction du règne de l’idolâtrie et l’établissement de celui de Jésus-Christ, mais tout cela d’une manière obscure et mystérieuse ; et ce qui cause cette obscurité, c’est que l’on y apporte comme des histoires passées, celles qui n’arriveront que longtemps après ; qu’on y décrit avec une magnificence extraordinaire des événements très-médiocres, et le renversement de quelques monarchies, comme on ferait celui de toute la nature ; que l’apôtre y copie les anciens prophètes, et se sert souvent de leurs expressions, et qu’il y fait fréquemment des allusions aux ustensiles et aux ornements du temple de Jérusalem ; qu’il y décrit d’abord en général des choses qu’il rapporte ensuite dans tous leurs détails. Jusqu’au chap. XIX inclusivement, toutes les prophéties semblent regarder le renversement de l’empire romain idolâtre, l’établissement paisible et tranquille de l’Église ; et les trois derniers, qui sont certainement les plus obscurs, contiennent des prophéties qui prédisent le règne de l’antechrist et le jugement dernier.
Au reste, on peut dire que ce livre n’est pas moins admirable par les mystères qu’il contient que par l’élévation et la majesté de ses expressions ; que son obscurité ne vient que de la faiblesse de notre intelligence, et du peu de connaissance que nous avons des rapports qu’elles peuvent avoir avec les événements qui y sont décrits : c’est la pensée de saint Denis d’Alexandrie, rapportée par Eusèbe, Hist., lib. VII, cap. XX ; et c’est ce qui a fait dire à saint Jérôme, Lettre à Paulin, que ce livre renferme autant de mystères qu’il y a de paroles, mais qu’ils nous sont cachés ; saint Irénée, avant eux, lib. V, cap. XXX, avait dit la même chose, et saint Augustin le dit ensuite. (Voyez de Civit. Dei, lib. XX, cap. VII et VIII, et in Psalm., LXIV et CXXXVI.)
Tous les anciens Pères, à la réserve d’un très-petit nombre, ont reconnu saint Jean l’Évangéliste pour l’auteur de ce livre, et l’ont compris au nombre des Écritures canoniques. (Voyez saint Justin, Dialog. cum Tryphon. ; saint Irénée, lib. IV, cap. XXXVII et L, et lib. V, cap. XXX, rapporté par Eusèbe, lib. V, cap. VIII ; Tertullien, lib. de Prœscript. et contr. Marcion. lib. IV ; saint Clément d’Alexandrie, Stromat., lib. VI ; Origène, Periarchon, lib. I, et tract. XII sur saint Matthieu, et cité par Eusèbe, Hist., lib. VI, cap. XIX ; saint Cyprien, Epist. V, Epist. XXV, Epist. LI, et lib. de Lapsis.) (Voyez Hippolyte, lib. de Consummat. seculi. ; Optat, lib. II, n. 6 ; la troisième conférence de Carthage ; saint Épiphane, Hœres. LI ; saint Hilaire, Prolog. in Psalm., et saint Augustin, de Doctr. christ., lib. II, cap. VIII.)
Il a été reçu et mis au nombre des livres saints dans les catalogues des conciles de Carthage, III, can. XLVIII, ann. 397, et can. XXIV, ann. 419 ; dans les conciles de Rome, sous Innocent Ier et sous Gélase, ann. 494 ; dans le quatrième concile de Tolède, can. XXII, ann. 633 ; et par le concile de Trente, sess. IV, de Canon. Script. Il est vrai qu’il a été omis dans le catalogue du concile de Laodicée, et dans celui de saint Cyrille de Jérusalem, et que saint Jérôme, Epist. ad Dardan., qui le reçoit, convient, ainsi qu’Eusèbe, que plusieurs ne le recevaient pas ; que Gaïus, ancien prêtre de Rome, le rejette comme l’ouvrage de Cérinthe, et que c’est sans doute sur le témoignage de ce prêtre que saint Denis d’Alexandrie a dit que plusieurs attribuaient ce livre à cet hérétique, quoique ce Père ne convînt pas avec lui des erreurs dont il accusait cet ouvrage. (Voyez Eusèbe, Hist., lib. III, cap. XXII, et lib. VII, cap. XX.) Tertullien, aux deux endroits cités ci-dessus, soutient l’autorité de ce livre contre Cerdon et contre Marcion, qui le rejetaient ; et Philastrius, évêque de Bresse, Hœres., XIV, met au nombre des hérétiques ceux qui ne veulent pas reconnaître son autorité. On croit que saint Jean l’Évangéliste écrivit ce livre lorsqu’il était relégué dans l’île de Patmos, comme nous l’avons dit, l’an 94 de l’ère vulgaire, soixante et un ans après la mort de Jésus-Christ, deux ans environ avant son Évangile, et quatre ans avant ses trois Épîtres. Eusèbe dit que ce fut sous la persécution de Domitien, Hist., lib. III, cap. XIV.