Romains Introduction - SAC

L’Église met au nombre de ses écrits canoniques les quatorze lettres suivantes ; savoir : une aux Romains, deux aux Corinthiens, une aux Galates, une aux Éphésiens, une aux Philippiens, une aux Colossiens, deux aux Thessaloniciens, deux à Timothée, une à Tite, une à Philémon, et enfin une aux Hébreux, lesquelles ont reçu ce rang, non par rapport à l’ordre des temps, mais à cause de la dignité de ceux auxquels elles sont écrites, et de l’importance des matières dont elles traitent. Ainsi on a préféré aux lettres adressées à de simples particuliers, celles qui le sont à des peuples, ou à des Églises entières ; et entre celles-là, on a donné le premier rang à celle de Rome, qui, comme dit saint Irénée, était le principal siège de la religion et de l’empire. Quelques-uns ont prétendu que dans cet arrangement on avait encore fait attention à l’étendue de ces lettres, et qu’on y avait placé les plus longues les premières ; car si l’on eût suivi l’ordre chronologique, il eût fallu donner la première place aux deux Épitres aux Thessaloniciens ; la seconde à celle aux Galates ; la troisième aux deux aux Corinthiens ; ensuite placer celles aux Romains, aux Philippiens, à Philémon, aux Colossiens, aux Éphésiens, aux Hébreux, la première à Timothée, celle à Tite, et finir par la seconde à Timothée ; ordre qu’il faut observer, et qu’il est à propos de remarquer pour pénétrer le sens de ces lettres, pour ne pas confondre les faits qui y sont rapportés, et ne pas tomber dans des anachronismes absurdes ; ce qui a fait dire à saint Jean Chrysostome, qu’il ne faut pas s’imaginer que la recherche de ces sortes de circonstances chronologiques soit une étude inutile, puisqu’au contraire elles est très-nécessaire pour éclaircir les difficultés qui se rencontrent dans ces Épîtres. Pour ne se pas tromper dans cette recherche, on doit réduire en général cet ordre chronologique à quatre époques différentes : la première, au temps qui a précédé la première captivité de saint Paul à Rome ; la seconde, à celui de cette même captivité ; la troisième, au temps où il en sortit et vécut en pleine liberté ; enfin la quatrième, au temps de sa dernière captivité dans Rome, un peu avant son martyre. C’est en effet à ces quatre époques que l’on peut fixer le temps auquel cet apôtre a écrit ces quatorze lettres ; c’est ce que l’on examinera en particulier dans les arguments qu’on a mis à la tête de chacune d’elles.

L’Épître aux Romains à laquelle l’Église donne le premier rang entre ces quatorze lettres de saint Paul, pour les raisons qu’on a rapportées, a été écrite par cet apôtre lorsqu’il était à Corinthe logé chez Caius, et qu’il fut obligé de demeurer trois mois en Grèce, pour éviter les embûches qu’on lui avait dressées sur le chemin qu’il devait prendre pour aller en Syrie, afin de porter à Jérusalem les aumônes dont il s’était chargé ; ce qui paraît par diverses circonstances : 1° parce qu’il y salue les Romains au nom d’Éraste, trésorier de la ville de Corinthe ; 2° parce qu’il a recommandé Phébé qui demeurait à Cenchrée, port de cette même ville, et qu’il avait chargé cette femme de leur rendre cette lettre ; enfin de ce que ceux que saint Luc nomme compagnons de ce voyage de Jérusalem, sont en partie les mêmes que ceux au nom desquels cet apôtre salue ici les Romains. (Voyez la Préface du commentaire sur cette Épître, attribué à Origène.) De ces circonstances il est aisé de conclure que cette Épître est écrite de Corinthe l’an 57 ou 58 de l’ère vulgaire, la vingt-quatrième ou vingt-cinquième année après la mort de Jésus-Christ.

On peut être surpris de ce que cette lettre, étant adressée aux Romains, est écrite en grec, et non en latin, qui était la langue commune et populaire de ces peuples ; mais il faut savoir que sous ce nom de Romains, l’apôtre n’entend pas seulement ceux qui étaient nés dans Rome, ni les naturels de cet empire, mais tous les fidèles, de quelque nation que ce pût être, que le commerce et la nécessité des affaires y attiraient, comme sont entre autres ceux que saint Paul salue ici, qui certainement n’étaient pas nés à Rome ni aux environs ; ce qui paraît tel, selon ces paroles du chap. I, v. 7, par lesquelles l’apôtre adresse cette lettre à tous ceux qui sont à Rome, chéris de Dieu et saints par leur vocation ; paroles qui regardent également tous les fidèles, soit Juifs, soit Gentils. Cela étant certain, il était donc plus convenable à l’apôtre de leur écrire en grec, puisque cette langue était alors la plus répandue dans le monde, et plus convenable aux étrangers, et qu’elle était même si commune dans Rome, que les femmes romaines affectaient de s’en servir. Et, en effet, ce ne fut que par le moyen de cette langue, et par les relations des étrangers, que la réputation de la foi des chrétiens de cette fameuse ville se répandit par toute la terre, et vint en Grèce jusqu’aux oreilles de l’apôtre saint Paul, qui en prit occasion de les en féliciter par cette lettre ; mais comme cet apôtre apprit en même temps, et par la même voie, qu’il s’était élevé entre les Juifs et les Gentils convertis quelque contestation au sujet des avantages que ces peuples prétendaient avoir sur les derniers, par rapport au fruit de l’accomplissement des promesses faites à Abraham et à leur pères (car les Juifs prétendaient que les Gentils n’y devaient avoir aucune part, ou du moins qu’ils devaient, en se soumettant à la loi de Moïse, aussi bien qu’à l’Évangile, embrasser les observances légales, et les cérémonies de la loi ancienne ; les Gentils au contraire soutenaient que l’Évangile les affranchissait de ce joug, et que les Juifs, par leurs infidélités et leurs prévarications contre la loi, et par le déicide qu’ils avaient commis en la personne de Jésus-Christ, s’étant rendus indignes de jouir de l’effet des promesses, ils avaient été substitués en leur place) ; pour arrêter le cours de ces disputes qui pouvaient causer quelque schisme, l’apôtre saint Paul crut nécessaire de leur écrire ; ce qu’il fit, non de sa propre main, mais par celle de Tertius ; et dans cette lettre, voulant détromper les uns et les autres de la fausse idée qu’ils avaient de s’être rendus dignes de leurs propres œuvres d’avoir par à l’Évangile et au fruit de la mort de Jésus-Christ, il prouve aux Gentils que la connaissance de Dieu, qu’ils se vantaient d’avoir eue sans la foi, n’avait eu d’autre effet en eux que de les rendre plus coupables, non-seulement pour ne pas l’avoir adoré, mais pour avoir transporté tout leur culte et leurs hommages aux créatures, aux idoles et aux bêtes brutes, et de s’être abandonnés sans mesure à tous les dérèglements de leur cœur. Il dit aux Juifs que, quoiqu’il fût vrai qu’ils avaient eu la foi, qu’ils étaient les enfants d’Abraham, et que par la circoncision ils avaient reçu le signe de l’alliance que Dieu avait faite avec leurs pères, tous ces avantages n’avaient servi qu’à faire connaître leurs infidélités et leur ingratitude, parce que ne les ayant regardés que selon la chair, ils en avaient oublié l’esprit, sans lequel la loi n’est qu’une lettre qui tue, qui pouvait irriter leur concupiscence, leur faire sentir leur faiblesse, le besoin qu’ils avaient d’un Sauveur, la nécessité de sa grâce, leur montrer le bien, mais sans leur donner les moyens et la force de le pratiquer ; qu’ainsi ils étaient, aussi bien que les Gentils, les ennemis de Dieu, l’objet de sa colère et dignes de la mort, non-seulement en général par la prévarication d’Adam, qui avait souillé et corrompu tous les hommes, mais encore plus particulièrement par les crimes personnels qu’ils y avaient ajoutés ; que par conséquent Dieu ne devait aux uns et aux autres que le châtiment et la damnation qu’ils avaient mérités ; qu’ainsi l’application de l’effet des promesses, la vocation à l’Évangile, la persévérance dans les œuvres de la loi selon l’esprit, la grâce et la gloire, sont le fruit de la mort de Jésus-Christ, et des dons gratuits qui dépendent de la seule miséricorde de Dieu, qu’il accorde et refuse comme il lui plaît, et à qui il lui plaît, sans être obligé de faire acception de personne. Gratuité que l’apôtre explique, non-seulement par l’exemple du choix de Jacob et de sa postérité au préjudice d’Ésaü et de ses descendants, mais encore par la comparaison du potier et de l’argile, du vase d’honneur et du vase d’ignominie ; ce qu’il dit être un mystère dont l’intelligence est au-dessus de toutes les pensées des hommes, et dont ils chercheront inutilement la raison. Tout ceci est compris dans les onze premiers chapitres de cette Épître ; car, dans les cinq derniers, l’apôtre y ajoute des préceptes pour bien vivre, et remplir dignement la vocation au christianisme ; et surtout il recommande aux fidèles d’être soumis aux puissances, non par crainte, mais par religion, de payer les tributs, et de s’attacher à accomplir exactement le précepte de l’amour du prochain, de ne rien faire, quoique indifférent, qui le scandalise, de s’abstenir des viandes immolées aux idoles, d’observer les jours marqués par la loi, pour ne pas blesser la conscience des faibles.

Comme le sens de cette lettre, aussi bien que celui de toutes les autres de cet apôtre, a paru, dès son vivant même difficile et obscur, en sorte que l’apôtre saint Pierre, II Epist., cap. III, v. 16, n’a pu se dispenser d’en avertir les fidèles, en leur écrivant qu’il y avait dans ces lettres quelques endroits difficiles à entendre, que des hommes ignorants détournaient à de mauvais sens, on a jugé à propos d’avertir ici que, quoique le style des lettres de saint Paul soit vif, énergique, et propre à attirer l’attention, il ne laisse pas de présenter quelque sorte d’obscurité à l’esprit, parce que cet apôtre, ayant coutume de proposer d’abord sa pensée d’une manière sommaire, et sous des expressions figurées et des termes peu usités, il n’est pas facile de le bien entendre, si on ne le suit pas exactement ; c’est pourquoi il est nécessaire de ne pas se laisser prévenir, et d’attendre qu’il s’explique lui-même ; car il est certain qu’il le fait toujours, qu’il n’y a pas même un seul mot obscur qu’il ne développe dans la suite, et qu’il ne rende intelligible par l’enchaînement de ses principes, et par d’autres termes plus expressifs. C’est pourquoi il est nécessaire de le lire de suite avec attention, et de comparer les expressions les unes avec les autres, afin de dissiper toute obscurité.