Ce livre, qui autrefois n’en faisait qu’un avec le précédent, et qui par conséquent ne porte aucun titre, sinon celui d’Echa, qui est le premier mot par où il commence, est appelé par les Hébreux modernes Sépher Kinot, ou Sinot, c’est-à-dire le Livre des cris lamentables, et par les Grecs Thréni, c’est-à-dire LAMENTATIONS. Le deuxième livre des Paralipomènes, chap. XXXV, v. 25, nous apprend que Jérémie avait fait un ouvrage sous ce titre de Lamentations, à l’occasion de la mort de Josias, que les musiciens et musiciennes, par une loi établie dans Israël, chantaient tous les ans, et que ces Lamentations se trouvaient au nombre de celles de ce prophète ; mais nous avons remarqué, sur cet endroit des Paralipomènes, qu’il ne faut pas tant entendre ces larmes de la mort de Josias, que des malheurs qui devaient arriver plus tard ; et qu’ainsi cet ouvrage n’était pas différent de celui-ci, qui contient un récit prophétique des désolations qui devaient arriver à Jérusalem et dans toute la Judée après la mort de ce prince, sous les règnes de Jéchonias et de Sédécias. C’est le sentiment des Hébreux, de l’auteur de la Paraphrase chaldaïque, d’Origène, d’Eusèbe et de Théororet ; mais ces derniers n’ont pas borné ces prophéties aux seuls règnes de ces princes, successeurs de Josias ; ils ont prétendu avec raison, en suivant le style des prophètes, que, sous l’accomplissement des premières, Jérémie avait eu en vue les dernières calamités que les Juifs devaient souffrir dans la suite des temps, sous les empereurs Tite et Vespasien, et que c’est sous ces derniers que s’est accompli entièrement ce qui est contenu dans ces Lamentations, ainsi que l’assure saint Jérôme.
On ne peut disconvenir que ces Lamentations n’aient un air poétique, et que les Hébreux n’aient eu dans leur langue une espèce de versification qui leur était propre comme on n’en peut pas douter par le témoignage de tous les anciens, et surtout de Philon, de Josèphe, d’Origène et d’Eusèbe. On peut assurer que ce livre est une preuve, quoiqu’on ne puisse pas dire aujourd’hui quelle est la nature des vers dont il est composé. Saint Jérôme, qui était plus à portée que nous de s’en instruire, par les relations qu’il a eues avec quelques Juifs, prétend, dans sa lettre à Paule sur l’alphabet du psaume CXVIII, tome II de l’édition des RR. PP. Bénédictins, p. 709, que des quatre alphabets que contiennent les Lamentations, les deux premiers sont composés de vers qu’il appelle saphiques, parce que les trois vers qui sont liés ensemble commencent par une même lettre, et sont terminés par la fin du vers héroïque ; que le troisième est écrit en vers trimètres ou vers ïambes, dont trois versets de suite commencent par la même lettre ; qu’enfin le quatrième suit les mêmes mesures que le premier et le second alphabet. On ne doit pas s’imaginer que ce Père ou ceux qui ont parlé de la poésie hébraïque aient prétendu, par les noms dont ils se sont servis pour expliquer ce genre de poésie, nous représenter les mêmes mesures, les mêmes pieds, et le même ordre que l’on trouve dans les vers grecs et latins, mais simplement des arrangements qui y ont quelque rapport, et qui consistent dans une double expression des mêmes choses en différents termes, dans un assujettissement à commencer leurs vers par certaines lettres et de les composer d’un certain nombre de syllabes, dont les règles ne nous ont pas été encore bien développées, et sur lesquelles ceux qui en ont parlé ne sont pas bien d’accord eux-mêmes.