Matthieu Introduction - SAC

Le temps de l’accomplissement des prophéties étant sur le point d’expirer, il fallait que la Synagogue, les ombres et les figures de l’Ancien Testament disparussent, et cédassent à la vérité. Le sceptre n’était déjà plus dans la famille de Juda, le souverain sacerdoce avait été ôté à la tribu de Lévi, et l’on ne voyait presque plus chez les Juifs qu’un reste languissant du culte saint et véritable que Dieu y avait établi. Les traditions humaines et les superstitions païennes avaient pris le dessus. Cependant les Juifs vraiment fidèles attendaient avec impatience le désiré des nations, cette semence de la femme qui devait écraser l’empire du démon, ce prophète depuis si longtemps promis, qu’on devait seul écouter ; et chacun d’eux s’appliquait à découvrir dans les prophéties le lieu et le moment de son avènement, les caractères auxquels ils pourraient le reconnaître ; car il était dit par les prophètes qu’il sortirait de la race de David, de la tribu de Juda, qu’il naîtrait d’une Vierge, à Bethléhem. Le temps même prédit par les semaines de Daniel pour l’onction de ce Saint des saints, paraissait être expiré. Le roi plein de douceur et de bonté devait incessamment paraître, et faire son entrée dans Jérusalem. Le dominateur, l’ange du Nouveau Testament si longtemps attendu, devait venir en ce moment. L’heure enfin approchait de substituer le grand sacrifice du Christ aux sacrifices impurs des animaux et des bêtes. Quatre mille ans s’étaient écoulés sous l’ancienne loi, et l’on était parvenu à la plénitude de ces temps marqués par l’Écriture, auxquels toutes les promesses faites aux patriarches devaient s’accomplir ; et lorsque les Juifs mêmes, impatients d’attendre, commençaient à douter du succès de tant d’événements prédits, les anges parurent dans le ciel au milieu du silence de la nuit, et leur annoncèrent la naissance du nouveau législateur, l’an 41 du règne d’Auguste, l’an 4709 de la période Julienne, quatre ans avant ce que l’on appelle l’ère vulgaire. Mais la naissance pauvre, la vie humble et retirée de ce nouveau législateur, le cachèrent trente années aux yeux des hommes ; et il se fit connaître à quelques-uns des Juifs et des Gentils pendant les trois dernières années de sa vie en remplissant les fonctions de son ministère, en annonçant et en prêchant les voies et le chemin du salut, guérissant les malades et ressuscitant les morts, sa croix et sa mort ignominieuse en dérobèrent pendant quelque temps l’éclat à presque tous les hommes, ayant été aux Juifs un sujet de scandale, et aux Gentils un sujet de risée et de mépris. Cependant, par un très-grand miracle, cette folie apparente et ce scandale prétendu sont devenus, après sa résurrection, l’admiration et l’objet du respect et de la vénération de tout l’univers ; et l’Évangile de ce crucifié s’est répandu par toute la terre avec une telle rapidité, qu’aucune puissance n’a pu en arrêter le cours. Le seul récit de la sainteté de sa vie, joint à la pureté de sa doctrine, à la vérité de ses miracles et aux charmes de sa grâce, a su appeler et soumettre toutes les nations de la terre au joug de son Évangile ; car ce nouveau législateur n’a point laissé sa loi écrite sur des tables de pierre comme Moïse ; mais il l’a écrite dans le cœur et sur les lèvres de ses apôtres et de ses disciples, afin qu’ils la répandissent ensuite dans le cœur et sur les lèvres des autres, et la fissent passer ainsi de génération en génération par le canal d’une tradition orale ; car il ne paraît point que Jésus-Christ ait rien laissé par écrit, ni qu’il ait commandé à ses disciples d’écrire sa vie et sa doctrine ; mais il leur a simplement ordonné de l’enseigner en tous lieux, et de la publier de vive voix à tous les hommes. C’est ainsi que Dieu en avait usé dès le commencement du monde ; il ne donna point sa loi par écrit à Adam et à Noé ; il se contenta de les en instruire, et de les charger de la transmettre à leur postérité par le seul canal de la parole ; et plus de deux mille cinq cents ans s’écoulèrent jusqu’au temps de Moïse, sans autre secours pour la perpétuer que cette tradition verbale ; et après avoir renouvelé cette même loi par écrit, et l’avoir augmentée de divers ordonnances, il voulut encore laisser aux prêtres et aux anciens d’Israël, par le même canal de cette tradition, l’interprétation des sens obscurs de cette loi.

Jésus-Christ en a usé ainsi, et les apôtres, en conséquence, ont longtemps observé de n’enseigner l’Évangile que de vive voix, et de ne le transmettre à leurs disciples que par la seule voie de la parole ; en sorte que cette première Église naissante a été près de cent ans sans avoir eu ce corps complet et entier des Écritures qui composent ce qu’on a appelé le Nouveau Testament ; et cette même Église en eût été entièrement privée, si la Providence n’en eût fait naître les occasions, et si elle ne se fût appliquée à nous perpétuer cette doctrine de Jésus-Christ, soit en conservant ce qui en a été écrit de plus considérable, ou en suppléant ce qui y manquait par la tradition orale qui en est le dépositaire incorruptible ; car tout n’a pas été écrit, puisqu’il est dit que le nombre des choses que Jésus-Christ a dites et faites est si grand, qu’il n’est pas possible de tout rapporter. Ce qu’on appelle le livre du Nouveau Testament, c’est-à-dire de l’alliance que Dieu a contractée de nouveau avec les hommes par Jésus-Christ, car c’est ainsi que Jésus-Christ l’a appelée, Matth., XXVI, 28, c’est le corps d’écritures qui contient les conditions et le contrat de cette alliance, l’histoire de la naissance, de la vie et de la mort de Jésus-Christ, la doctrine qu’il a enseignée, le progrès de ses prédications, de celles de ses disciples, et l’établissement de son Église.

La première et la principale partie de ce recueil se nomme l’ÉVANGILE, c’est-à-dire bonne nouvelle, nom que saint Matthieu lui a donné, parce qu’elle nous apprend la naissance d’un libérateur et du sauveur de tous les hommes, qu’elle enseigne la voie et les moyens de les conduire au salut ; ce qui est contenu dans quatre livres, qui sont appelés l’Évangile de saint Matthieu, de saint Marc, de saint Luc, de saint Jean, lesquels sont mis et placés dans ce rang, par rapport à l’ordre des temps auxquels ils ont été écrits, et non par rapport à la qualité de leurs auteurs ; deux d’entre eux, savoir saint Matthieu et saint Jean, ayant été apôtres du Seigneur, et les deux autres n’en ayant été que les disciples.

La seconde partie contient les Actes, c’est-à-dire les actions et les prédications des apôtres et des disciples de Jésus-Christ.

Ensuite sont les quatorze Épîtres de saint Paul : une aux Romains, deux aux Corinthiens, une aux Galates, une aux Éphésiens, une aux Philippiens, une aux Colossiens, deux aux Thessaloniciens, deux à Timothée, une à Tite, une à Philémon, et la dernière aux Hébreux. Ensuite sept autres épîtres surnommées Catholiques, parce qu’elles renferment les règles universelles et générales du christianisme, et qu’elles sont adressées à toute l’Église en général ; et de ce nombre sont l’Épître de saint Jacques, les deux de saint Pierre, les trois de saint Jean, et celle de saint Jude.

Enfin ce qui termine le Nouveau Testament, c’est le Livre de l’Apocalypse de sain Jean l’Évangéliste, c’est-à-dire le Livre de ses Révélations, ou Prophéties. Sur chacun de ces écrits on peut voir ce qui en est dit dans l’avertissement particulier qu’on a mis à la tête de chacun de ces livres ; il suffit de remarquer que tout le Nouveau Testament contient l’histoire, non-seulement des trente-trois années de la vie de Jésus-Christ, mais encore des soixante-cinq années suivantes ; du progrès de la prédication de son Évangile depuis l’année du monde 4000 jusqu’en l’année 4098.

Le premier et le plus ancien des écrivains du Nouveau Testament et des quatre Évangélistes est saint Matthieu, l’un des douze apôtres de Jésus-Christ, qui a écrit tout ce qu’il a appris, soit de la bouche même de son maître, soit de ceux qui avaient eu avec lui de plus étroites liaisons. Il entreprit cet ouvrage la sixième année après la mort de Jésus-Christ, à la sollicitation des Juifs de Jérusalem qui s’étaient convertis ; et comme il le composa principalement pour les Juifs, il l’écrivit en leur langue, ou, comme disent saint Irénée et Eusèbe, en la langue de leur pays, c’est-à-dire en syriaque mêlé d’hébreu et de chaldéen, langage que les Juifs avaient contracté pendant le temps de leur captivité : c’est ce que saint Irénée, Origène, Eusèbe, saint Athanase, saint Épiphane et saint Jérôme ont entendu lorsqu’ils ont dit que l’Évangile de saint Matthieu avait été écrit en hébreu. L’histoire ecclésiastique assure que Pantenus étant allé aux Indes y trouva l’Évangile de saint Matthieu écrit en hébreu, qui avait été apporté par l’apôtre saint Barthélemy, et que cet exemplaire y était encore du temps de l’empereur Commode. L’auteur de la vie de saint Barnabé rapporte que cet apôtre étant allé prêché l’Évangile en Grèce y avait porté un exemplaire de l’Évangile de saint Matthieu, qui fut ensuite trouvé dans son tombeau sous le règne de l’empereur Zénon ; mais plusieurs savants croient, avec beaucoup d’apparence, que c’était un exemplaire grec, et non hébreu, comme l’a supposé Antime, qui cherchait, à quelque prix que ce fût, des autorités pour soustraire son évêché à la juridiction du patriarche d’Antioche, d’autant plus qu’il n’y a pas d’apparence que saint Barnabé ait porté un exemplaire hébreu dans un pays ou personne n’eût entendu cette langue.

Saint Jérôme assure qu’il a vu un exemplaire hébreu de saint Matthieu qui était gardé dans la bibliothèque de Césarée, à Bérée et ailleurs, sur lequel il a traduit cet évangéliste ; mais on ne sait si cet exemplaire était celui dont s’étaient servis les Nazaréens et les Samaritains, et qui était altéré, ou si c’était un exemplaire copié exactement sur celui de saint Matthieu ; mais quoi qu’il en soit, aucun de ces exemplaires ne se trouvent plus ; car celui qui a été imprimé depuis par Munster est l’ouvrage de quelque Juif moderne qui l’a traduit en hébreu sur le latin.

On ne sait point du tout qui est l’auteur de la version grecque que nous avons ; saint Athanase, ou l’auteur de la Synopse de l’Écriture sainte, dit que saint Jacques, évêque de Jérusalem, a traduit en grec l’original de saint Matthieu ; mais Eusèbe, sur l’autorité de Papias, Histor., lib. III, cap. XXXIX, dit que chacun l’avait traduit en sa propre langue, et Origène assure que ces traductions avaient bien des fautes et bien des différences, aussi bien que les copies grecques, par l’erreur et la faute des copistes, chacun s’étant donné la liberté d’ôter et d’ajouter selon sa fantaisie ; et c’est ce qui engagea saint Jérôme de s’appliquer à les corriger sur la concorde évangélique, ou les canons d’Eusèbe, et sur ce qu’il appelle la vérité ou fidélité grecque, c’est-à-dire sur les exemplaires que se lisaient communément dans les églises les plus savantes et les plus attachées à l’antiquité, comme étaient celles de Césarée et d’Alexandrie, dont les exemplaires avaient été corrigés par Origène, par Piérus et Eusèbe ; et c’est encore le même texte dont se sert aujourd’hui toute l’Église, et que le cardinal Ximénès a revu sur divers exemplaires, afin de corriger les fautes que les copistes y avaient depuis ajoutées, et c’est celui-là même qui est inséré dans les Polyglottes de l’an 1515 et dans les autres qui ont été imprimées depuis.

La version dont l’Église latine se sert aujourd’hui est l’ancienne Vulgate, que saint Jérôme a corrigée sur les exemplaire grecs les plus corrects qu’il avait pu trouver de son temps.

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