2 Pierre Introduction - BAN

I

Cette épître s’annonce comme étant écrite par le même apôtre (1.1) et aux mêmes églises (3.1) que la précédente, mais plus tard et peu avant la mort de l’auteur (1.14). La première lettre devait affermir leur foi à l’approche des terribles épreuves qui les menaçaient du dehors ; la seconde était destinée à les mettre en garde contre les ennemis du dedans, bien plus dangereux encore. Lettre d’adieu, dernière exhortation d’un mourant à ses frères (1.12)et suivants), d’un apôtre du Seigneur à l’Église pour la supplier une fois encore de fuir la corruption qui règne dans le monde par la convoitise (1.4), et de mettre tous ses soins à la sainteté de la vie ; confirmation énergique et suprême de la vérité de l’Évangile, prophétie à la fois douloureuse et menaçante touchant les doctrines de mensonge, les souillures abominables qui allaient infester l’Église (2.1 et suivants) ; annonce solennelle du jour de Christ qui viendra certainement, malgré ses retards (3.3 et suivants) : cri d’alarme à toute l’Église, afin qu’elle se tienne prête dans une sainte conduite, qu’elle ne soit pas consumée par le feu avec le monde, mais qu’elle puisse à l’avance se réjouir des nouveaux cieux et de la nouvelle terre que nous attendons selon la promesse du Seigneur (3.10 et suivants).

II

Les faux docteurs, contre lesquels l’apôtre met en garde ses lecteurs, se reconnaissent à des traits déjà tracés en partie par la plume de saint Paul dans les épîtres pastorales ; seulement les doctrines de mensonge ont déjà produit davantage ici de leurs fruits amers : les égarements de la chair, qui commencent à s’introduire parmi les chrétiens. Toutefois, il s’en faut bien que la corruption prévue par l’apôtre soit arrivée à son comble, et qu’elle ait atteint toutes les églises. De même que Jean voyait les premières manifestations de l’antéchrist, et pourtant l’annonçait pour l’avenir  ; de même que Paul décrivait les premiers mouvements de l’homme de péché, et pourtant le fait attendre pour la fin des temps, ainsi Pierre porte en avant un regard prophétique en même temps qu’il décrit le mal à son origine. Il sait ce dont l’Église aura besoin après son départ (1.15) ; dès les premiers mots de cette partie de sa lettre, il emploie tous ses verbes au futur (2.1-3), et ce futur peut s’étendre, non seulement jusqu’aux phénomènes analogues dont l’Église a été le témoin à toutes les époques de son histoire, mais aussi, et surtout peut-être, jusqu’aux temps d’infidélité et de corruption qui doivent, selon l’Écriture, précéder le retour glorieux du Seigneur. Ici déjà, les erreurs de doctrine ont fait place à la corruption morale. Or ne sont-ils pas de tous les temps ces hommes qui obéissent à leurs convoitises, à l’avarice, à d’autres vices encore (2.3, 10, 14) ; qui nient le retour de Christ pour le jugement et en font un sujet de moquerie (3.3, 4)et suivants) ; qui, par des discours enflés de vanité, promettent à d’autres la liberté, tandis qu’ils sont eux-mêmes esclaves de la corruption (2.18-19) ?

À toutes ces aberrations dont la semence pouvait corrompre les églises, l’apôtre oppose avec énergie la vérité historique du christianisme (1.16 et suivants) et la sainteté de la vie (3.11). Qui pourrait méconnaître, d’une part, l’opportunité historique, et de l’autre, l’actualité de tels enseignements ?

III

Sans doute, la question se présente tout autrement pour les critiques qui n’admettent pas l’authenticité de notre épître, surtout pour ceux qui en font l’œuvre d’un pseudonyme, fabriquée à la fin du second siècle.

Si notre épître n’est pas authentique, on doit se hâter d’en purger le Nouveau Testament, car alors, c’est une œuvre d’imposture et de mensonge. Cela est-il moralement possible ? On en jugera quand nous aurons exposé l’état de la question, et la force ou la faiblesse des arguments pour et contre l’authenticité.

Pour commencer par les témoignages historiques, les adversaires de l’épître prétendent qu’il n’en existe aucun durant les deux premiers siècles et que personne ne l’a mentionnée avant Origène. Les défenseurs, au contraire, trouvent des allusions et des citations en grand nombre dès les Pères apostoliques, dans Clément de Rome, Hermas, Barnabas, Justin, Irénée, Théophile. Il faut avouer que les textes allégués, quoique rendant très probable que ces Pères connaissaient notre épître, ne sont pourtant pas de nature à commander la conviction. Il est donc évident que cette lettre fut moins promptement répandue dans les églises que d’autres livres du Nouveau Testament. Elle manque aussi dans l’antique version syriaque la Peschito. Mais comment faire descendre la composition de cet écrit jusqu’à la fin du second siècle, quand on entend un Origène, né lui-même quinze ans avant la fin de ce même siècle, Origène, ce critique savant et consciencieux, parler des deux épîtres de Pierre, citer la seconde littéralement huit à dix fois, la citer en nommant l’auteur, la citer en ces termes : comme dit, en un certain endroit, l’Écriture, la citer enfin en disant : Je sais qu’il est écrit ? (Voir Homélie VII sur Josué ; Homélie IV sur le Lévitique ; Homélie VIII sur les Nombres ; Commentaire, sur Romains 8.7). Origène, il est vrai, rappelle quelque part les doutes dont cette épître était l’objet ; mais il les rappelle sans les partager, et d’ailleurs ce passage n’est pas dans ses œuvres, mais rapporté par Eusèbe. Ce dernier admet notre lettre parmi les épîtres catholiques, au rang des antilégomènes et en rappelant, comme Origène, les doutes de plusieurs. Jérôme reçoit la seconde de Pierre dans son catalogue comme authentique, et remarque aussi que plusieurs la renient à cause de la différence du style avec la première épître, argument relevé aussi par des critiques modernes, mais qu’un examen sérieux et non prévenu des deux épîtres réduit à peu de valeur. Raison faible s’il en fut jamais, dit le savant Beausobre. Premièrement elle n’est pas vraie, puisque, si l’on confronte la seconde épître de Pierre avec la première, on y trouvera plutôt de la conformité que de la différence par rapport à la force, à la brièveté et même au tour de la phrase, d’ailleurs, il n’y a rien de plus équivoque et de plus incertain que ces jugements sur le style, un même auteur pouvant écrire différemment en des temps différents et sur des matières différentes. À dater du troisième siècle, l’épître est universellement reconnue et définitivement reçue au rang des livres canoniques par le concile de Laodicée.

Mais soit à cause de ce qu’il y a d’incomplet dans les témoignages historiques, soit par quelques considérations de la critique interne auxquelles nous allons revenir, l’époque de la réformation vit se renouveler quelques doutes sur l’authenticité de cet écrit. Calvin, en particulier, est frappé de la remarque de Jérôme sur la différence de style entre notre épître et la première de Pierre. Mais, d’un autre côté, on aperçoit, dit-il, la vertu, véhémence et grâce de l’Esprit duquel les apôtres ont été doués… Et puisqu’en toutes les parties de l’épître la majesté de l’Esprit de Christ se manifeste clairement, je me ferais conscience de la rejeter entièrement. Et il arrive à la supposition que les pensées seraient de l’apôtre, tandis que la composition serait d’un autre qui aurait tenu la plume.

La critique moderne, à dater de Semler, n’a pas été si modérée. Un grand nombre de théologiens éminents, parmi lesquels il se trouve des hommes de foi, refusent nettement à Pierre cette lettre. Indépendamment de l’école de Tubingue, on voit se ranger ici, pour ne nommer que les principaux, les noms de Eichhorn, de Wette, Néander, Credner, Reuss, Huther, Edmond de Pressensé, Godet. Ce sont presque exclusivement des raisons de critique interne qui déterminent ces conclusions négatives. Il vaut la peine de les examiner avec attention.

Voici donc les principaux de ces arguments :

  1. L’auteur, dans une partie de son épître (chapitre 2), a copié ou imité Jude ; or, il n’est pas digne d’un apôtre d’emprunter à un autre écrivain, non apôtre, tout un chapitre d’une courte lettre.
    Le rapport entre 2 Pierre 2 et Jude 1.4-19 est évident ; de plus, plusieurs traits de la comparaison des deux morceaux peuvent facilement porter à penser que Jude est l’auteur original et Pierre l’imitateur (en particulier 2 Pierre 2.11, et Jude 1.9). Mais cette conclusion n’est rien moins que prouvée. Non-seulement Jude 1.18 paraît évidemment une citation de 2 Pierre 3.3, puisque Jude 1.17 attribue aux apôtres des paroles qui se trouvent littéralement dans Pierre (comparez les versets qui suivent dans l’un et dans l’autre) ; mais, en général, l’ordre bien supérieur que Pierre observe dans les jugements de Dieu, tous tirés de l’Écriture, et qu’il dénonce contre les impies (2.4-8) ; la conclusion si redoutable et si conforme aux enseignements de la Bible qu’il en déduit (2.9,10) ; la description même qu’il donne des séducteurs, toujours en les comparant avec des exemples pareils empruntés aux Écritures ; le fait que, dans des passages correspondants, Jude en appelle à un livre apocryphe et s’appuie d’une légende juive, ce dont Pierre s’est bien gardé ; enfin beaucoup d’autres observations de détail peuvent fort bien justifier l’opinion de critiques tels que Hofmann, Thiersch, Stier, Dietlein, Lange, qui accordent la priorité à Pierre et non à Jude. Mais qu’importe ? S’il était vrai que Pierre, en présence des redoutables dangers que courent les âmes, trouve dans un écrit sérieux des avertissements qu’il approuve et auxquels il veut donner, en se les appropriant en partie, la sanction de son autorité apostolique, cela serait indigne de lui ! Pourquoi donc ne révoque-t-on pas en doute sa première épître, parce qu’elle offre bien des réminiscences des lettres de Paul ? d’ailleurs, si Pierre emprunte à Jude certains traits de ce tableau en les fondant dans sa pensée plus haute et plus vivante (ce qui encore une fois n’est pas prouvé), bien loin de parler contre l’apostolicité de notre épître, ce fait la démontrerait bien plutôt par le soin très frappant qu’il a mis à laisser de côté telle tradition obscure (Jude 1.9) et telle citation apocryphe (Jude 1.14), qu’il trouvait devant lui, pour se tenir lumineux et ferme sur le terrain des Écritures. À quelque opinion que l’on s’arrête sur la priorité des deux écrits, cet argument ne prouve absolument rien contre celui de Pierre.
  2. Cette épître fait allusion aux lettres de Paul, elle les cite en les mettant au rang des autres Écritures, ce qui trahit son origine tardive.
    Et pourquoi cela ? Pierre écrit ici peu de temps avant sa mort (l.14), à une époque où les principales épîtres de Paul étaient connues et lues dans toutes les églises, sa première lettre prouve qu’il en était lui-même tout rempli : y a-t-il anachronisme ? Et qu’aux yeux de Pierre les épîtres de Paul, écrites selon la sagesse qui lui a été donnée, fussent véritablement les Écritures, qu’y a-t-il là d’étonnant ?
  3. L’auteur adresse cette seconde lettre aux mêmes lecteurs que la première (3.1), mais il les suppose dans un état religieux et moral tout différent, et il paraît être dans un rapport plus personnel avec eux.
    La première de ces observations est vraie, mais prouve seulement le changement qui avait eu lieu d’une épître à l’autre ; la seconde n’a pas le moindre fondement, au contraire, car cette lettre-ci ne renferme pas même des salutations comme la première en exprimait (Quant au passage 3.2, qui pourrait être allégué ici, voir l’objection suivante).
  4. L’auteur oublie son rôle au point de parler d’un commandement du Seigneur donné, dit-il, par nos apôtres, ce qui l’exclut évidemment de cette dignité(3.2).
    C’est-à-dire que de toutes les constructions et interprétations possibles de cette phrase difficile, on prend la moins probable pour en forger un argument contraire (Voir la note sur ce passage). Que devient-il surtout depuis que des critiques tels que Laenmann, Tischendorf et d’autres ont admis la variante vos apôtres, c’est-à-dire tout simplement ceux des apôtres qui vous ont annoncé l’Évangile, ce qui n’exclut nullement Pierre lui-même ?
  5. L’auteur prend un soin particulier à se désigner comme apôtre et comme l’apôtre Pierre (1.1, 14, 16 et suivants ; 3.1, 15), ce qui prouve de sa part une anxiété peu naturelle à cet égard.
    qu’on relise sans prévention ces quatre passages, si sérieux, si bien motivés par le sujet, et l’on verra qu’on ne peut y découvrir aucune trace de cette préoccupation de l’auteur. Chose étonnante ! si l’apôtre n’avait pas signé sa lettre, on en ferait un principal argument contre elle et avec raison (voir la critique de l’épître aux Hébreux) ; il l’a signée, donc elle n’est pas authentique ! Mais si cet argument était fondé, il prouverait beaucoup plus, il prouverait que l’auteur est un faussaire qui emprunte la signature d’un autre (1.1)) ; un menteur qui, en face de la mort, se permet une indigne comédie (1.12-15), et qui fait intervenir la vie du Sauveur et un solennel témoignage de Dieu dans cette tromperie (1.16-18) ; un hypocrite qui simule de la familiarité et de l’amour envers un grand apôtre, afin de jouer lui-même un rôle. Et dans quel but tout cela ? Les critiques, qui passent si facilement sur de telles impiétés, pourraient-ils nous le dire ? Nous diront-ils comment on peut, psychologiquement et sans parler de la conscience, concilier tous ces mensonges avec le sérieux, la sainteté, les redoutables menaces des jugements de Dieu qui remplissent chaque ligne de cette lettre ? Nous expliqueront-ils comment un Origène et les autres Pères auraient pu recevoir ce tissu de tromperies pour l’œuvre d’un apôtre, et le citer comme l’Écriture ? Comment enfin l’Église tout entière se serait laissé prendre à ce piège grossier ? Il y a dans tout cela une impossibilité morale, qui, pour tout juge non prévenu, forme une conviction tellement vive que nous n’hésitons pas à affirmer que parmi les livres du Nouveau Testament contestés en un certain temps, il en est peu dont l’authenticité soit mieux établie que celle de la seconde épître de Pierre.

IV

Voici l’ordre des principaux sujets traités dans cette épître :

  1. Salutation apostolique (1.1, 2) et exhortation à de continuels progrès dans la sainteté de la vie (1.3-11).
  2. Raisons pour lesquelles l’apôtre s’est senti pressé du besoin d’écrire cette lettre : son), et il atteste une dernière fois la vérité qui repose sur un double fondement divin, (1.16-21)
  3. Prophétie et avertissements contre les faux docteurs, (chapitre 2)
  4. Avertissements contre les moqueurs qui nient le retour de Christ et le jugement (3.1-13). Dernières et pressantes exhortations à ce sujet (3.14-18).