Sous les deux alliances, les Psaumes ont eu dans la vie spirituelle du peuple de Dieu une place de première importance.
Le Sauveur lui-même, dans son supplice, a trouvé dans les paroles inspirées des psalmistes l’expression de ce qu’il ressentait1. Les discours et les lettres des apôtres sont remplis d’allusions et d’emprunts faits aux Psaumes, à tel point qu’aucun livre de l’Ancien Testament n’est cité plus souvent dans le Nouveau. L’Église, même aux époques où la Bible était laissée à l’écart, n’a pas cessé d’entendre dans ses cultes soit la lecture, soit le chant des Psaumes, et quand l’étude de la Bible a été formellement interdite au peuple par les conciles, des réserves expresses ont été faites en faveur de l’usage du Psautier2. Le chant des Psaumes, particulièrement propre à soutenir la foi des opprimés et à consoler les persécutés, a contribué puissamment aux progrès de la Réformation. Enfin chaque fidèle sait par expérience combien il est naturel à l’âme chrétienne de chercher dans les Psaumes l’aliment dont elle a besoin.
Cette popularité des Psaumes tient à leur caractère profondément humain, aussi bien qu’à leur contenu religieux. Expression directe des besoins, des tourments, des espérances et des joies de l’âme israélite travaillée par l’Esprit de Dieu, les Psaumes trouvent sans peine, dans tous les temps, le chemin de l’âme humaine, qui reconnaît dans leurs accents ses propres aspirations, dominées par une foi inébranlable au Dieu du salut.
Le charme de la vraie poésie lyrique a toujours consisté dans la fraîcheur et parfois la naïveté avec laquelle elle donne essor aux sentiments de l’âme, sans les soumettre préalablement à une sorte d’analyse philosophique et sans les revêtir de formes plus ou moins artificielles. Nous avons dans les Psaumes la poésie lyrique sanctifiée, l’élan direct du cœur vers son Dieu, dans les circonstances infiniment diverses où peut se trouver le croyant. Certains psaumes sans doute se rapprochent de la poésie héroïque, du genre narratif, descriptif ou philosophique. Tous cependant nous mettent directement en contact avec la vie intérieure de leurs auteurs.
Les cinq livres formant dans nos Bibles le groupe des Hagiographes ont ceci de particulier, qu’ils nous font entendre la réponse du peuple de Dieu à la révélation reçue3. Sans eux, nous aurions dans l’Ancien Testament l’écho de la voix divine parlant à Israël, mais nous n’entendrions pas la voix humaine répondant à celle de l’Éternel. Cette réponse, les Psaumes nous la donnent dans toute sa fraîcheur, non par la bouche d’un homme seulement, mais par celle d’un grand nombre de croyants placés dans des états d’âme très divers. Et pourtant c’est encore la voix du Dieu de la révélation que nous y entendons. Sous l’impression profonde produite en lui par la parole de l’Éternel, Israël parle, pense et sent conformément à ce qu’il a entendu. Il n’y a pas là, de sa part, imitation inconsciente ou servile. L’esprit de la loi, qui a pénétré en lui, l’a sevré de ses propres désirs, suivant l’expression du Psaume 131, et a fait de lui l’organe des pensées de Dieu.
De plus, sur bien des points, la foi du fidèle, stimulée, éclairée par l’Esprit de Dieu, pénètre au-delà de la révélation reçue, la prolonge, la complète. C’est là ce qui fait que, dans le domaine des Psaumes, le chrétien se trouve chez lui, voyant déjà apparaître partout, sous les symboles de l’ancienne économie, les richesses de l’alliance définitive. Le caractère secondaire des cérémonies du culte, la vraie spiritualité requise des adorateurs de l’Éternel sont mis en lumière (Psaumes 15, 50,51, etc.). Le triomphe de la vie sur la mort, encore si éloigné, est entrevu (Psaumes 16, 17). Surtout, c’est dans les Psaumes que nous voyons se former et grandir l’espérance messianique, qui, dès l’époque de David, devint un élément essentiel de la prophétie (Psaumes 2, 22, 110, etc.). L’étude que nous allons faire nous montrera à quel point, même en dehors des psaumes directement messianiques, l’esprit prophétique pénètre un très grand nombre de psaumes qui semblent, au premier abord, ne faire allusion qu’aux circonstances dans lesquelles se trouvait leur auteur.
Si trous considérons la forme sous laquelle le livre des Psaumes nous est parvenu, nous voyons que les cent cinquante cantiques dont il se compose y sont répartis en cinq groupes, on peut même dire en cinq recueils, dont chacun se termine par une doxologie, c’est-à-dire par une parole de louange à la gloire de Dieu :
Les paroles des doxologies : Béni soit l’Éternel…, ne font pas partie des psaumes auxquels elles sont rattachées. Elles ont sans doute été rajoutées par les hommes qui ont formé le recueil définitif, afin de marquer les limites de chacun des recueils particuliers. Le Psaume 150, qui termine le cinquième livre et en même temps toute la collection des Psaumes, n’a pas de doxologie finale, parce qu’il en est lui-même une, plus développée que les autres.
Cette division en cinq livres a frappé de tous temps les théologiens par l’analogie qu’elle offre avec le Pentateuque. Il est bien probable que l’intention des hommes qui ont mis la dernière main à la formation du recueil a été de placer en tête du rouleau des Hagiographes une sorte de pentateuque analogue à celui qui ouvre la série des livres saints d’Israël. Les Psaumes en effet occupent dans la Bible hébraïque le premier rang parmi les Écrits qui forment le troisième groupe des livres bibliques. « Le livre des Psaumes, dit M. Félix Bovet, est dans la série des Hagiographes ce qu’est Ésaïe dans celle des prophètes proprement dits. L’un et l’autre de ces livres sont composés de cinq parties ; ce sont des pentateuques, à l’instar du livre de la Loi, auquel tous deux se rattachent par leurs premiers versets ». 4
Si nous examinons de plus près le livre des Psaumes, nous voyons que les cantiques qui le composent n’ont pas été rapprochés les uns des autres au hasard, mais que certaines règles ont dirigé à cet égard les hommes qui ont formé le recueil, tel que nous le possédons.
Il est aisé de remarquer tout d’abord que les deux noms principaux qu’Israël donnait à Dieu, celui de Jéhova (l’Éternel) et celui d’Élohim, (Dieu), ont été envisagés comme éclairant chacun d’une lumière spéciale les psaumes où ils se trouvent. On sait que le nom d’Élohim, désigne le Dieu de la création et de la nature, l’Être puissant et redoutable devant lequel tremble la créature (proprement : « Celui devant lequel on tremble ; » voir Genèse 1.1, note). Jéhova, ou Jahvé, « Celui qui est, qui était et qui sera » (Apocalypse 1.4), est le Dieu personnel, qui seul possède l’existence absolue et qui donne la vie à qui il veut. Jéhova est le Dieu national d’Israël, celui qui dirige ses destinées, le Dieu de la promesse et du salut (Genèse 2.4 ; Exode 3.14). Au centre du recueil des Psaumes se trouve un groupe de quarante-trois cantiques (42 à 84), comprenant le livre II tout entier et la moitié du livre III, où se trouve presque exclusivement le nom d’Élohim. Les quarante-et-un psaumes qui précèdent ce groupe central et les soixante-six qui le suivent emploient de préférence le nom de Jéhova. À deux reprises le même morceau, jéhoviste dans le premier livre, se retrouve transposé en psaume élohistique dans le second ; Psaume 14 = 53, et 40.14-18 = 70.
La distinction des noms donnés à Dieu n’est pas le seul principe qui ait présidé au groupement des Psaumes. Dans chacun des cinq livres, les psaumes se succèdent d’après des analogies, soit extérieures, soit plus intimes, qui créent entre eux une sorte de parenté. Très souvent ils se présentent par paires, comme certaines paraboles du Seigneur, qui expriment deux aspects d’une même vérité (ivraie et filet, grain de moutarde et levain, trésor et perle). Ainsi les Psaumes 3 et 4, 20 et 21. Parfois on a rapproché les psaumes d’après les auteurs auxquels on les attribuait.
Souvent, dit M. Bovet, « ils sont disposés d’après un autre ordre fort peu apparent, bien que tout extérieur, et que Delitzsch a été, croyons-nous, le premier à signaler : le rédacteur du Psautier s’est appliqué habituellement à former des séries dans lesquelles chaque psaume contint quelque expression saillante que l’on eût déjà vue dans le précédent et quelque autre que l’on retrouvât dans le suivant, de telle sorte qu’ils fussent reliés entre eux comme les anneaux d’une chaîne ».. 5
Les auteurs du recueil semblent avoir évité de réunir en masses trop compactes les psaumes d’un même caractère, si l’on en excepte les cantiques de louange, qui deviennent toujours plus abondants vers la fin du quatrième livre et remplissent pour ainsi dire le cinquième. Les psaumes dits de pénitence (6, 32, 38, 51, 102,130, 143) sont répartis dans les cinq livres. De même les psaumes directement messianiques apparaissent de lieu en lieu, comme pour renouveler le courant prophétique qui circule dans le corps entier du livre.
Il existe cependant ce que l’on pourrait appeler des recueils dans le recueil. C’est particulièrement le cas dans le cinquième livre. Nous y remarquons tout d’abord le Hallel (recueil de louanges) qui comprend les Psaumes 113 à 118 ; les Juifs chantaient ces psaumes à la fête de Pâques. Au centre de ce livre est le Psaume 119, l’éloge de la loi, qui, à lui seul, équivaut presque à un recueil ; puis viennent les quinze cantiques de Maaloth, les chants des pèlerins s’acheminant à Jérusalem pour les grandes fêtes ; enfin ce livre final, où la louange domine dès le commencement (Psaume 117), se termine par cinq cantiques dans lesquels débordent l’adoration et l’action de grâces ; on appelle ces cantiques le petit Hallel, et leur nombre a sans doute été fixé à dessein, pour correspondre aux cinq livres des Psaumes. Admirable épilogue de ces cent-cinquante hymnes, dont plusieurs parlent de péché, de douleur, de détresse, mais dont le premier mot est « Bonheur ». et le dernier « Louange » !
Ce que nous venons de dire nous amène en face d’une question que nous ne ferons qu’effleurer maintenant, nous réservant d’y revenir à la fin de notre travail.
Nous voulons parler de la valeur que l’on doit accorder aux notes qui se trouvent en tête d’un grand nombre de psaumes et qui donnent des indications sur leurs auteurs et leur destination. Ces notes, appelées suscriptions, sont actuellement en grande défaveur auprès de la plupart des exégètes. Même les anciens commentateurs juifs n’en ont pas toujours tenu compte. Il est probable que bien souvent elles n’émanent pas des auteurs mêmes des psaumes. Elles ne doivent donc pas nous lier d’une manière absolue et nous empêcher de chercher dans les psaumes eux-mêmes les indications qu’ils peuvent nous donner sur leur origine, d’autre part, rien ne nous donne lieu de supposer que les hommes qui les ont inscrites comme des annotations l’aient fait légèrement. Un fait d’ailleurs prouve leur haute antiquité : plusieurs de ces suscriptions, que nous avons de la peine à comprendre, étaient déjà incompréhensibles au moment où a été faite la traduction grecque des Septante. « Les traducteurs alexandrins, dit M. Reuss, qui pourtant étaient juifs eux-mêmes, se sont trouvés dans le plus grand embarras en face de ces notes, et dans la plupart des cas leurs essais d’interprétation, ou bien ne nous apprennent rien, ou bien sont de nature à nous égarer davantage ». 6 Les Psaumes ont été traduits en grec vers l’an 230 avant Jésus-Christ, au plus tard. Les termes musicaux ou autres employés dans les suscriptions et que l’on ne comprenait plus à cette époque, doivent donc remonter à un temps bien antérieur, peut-être assez rapproché de celui où furent composés les psaumes eux-mêmes auxquels ils se rapportent. Nous pensons donc que, d’une manière générale, il y a lieu de tenir compte de ces données, sans que toutefois le lecteur doive les confondre avec le texte même des Psaumes.
Voici, d’après les suscriptions, comment se présentent à nous les Psaumes, en ce qui concerne leurs auteurs :
Pour résumer l’énumération que nous venons de faire, nous dirons, avec M. Bovet, 7 que l’on pourrait en gros nommer le livre I, livre de David ; le II, livre des fils de Koré ; le III, livre d’Asaph ; le IV, livre des anonymes, et le V, livre des recueils, ou peut-être livre des solennités.
Le même auteur fait remarquer que les psaumes attribués à David, si l’on y joint les deux de Salomon, sont au nombre de soixante-quinze, la moitié du nombre total. L’autre moitié se décompose en cinquante psaumes anonymes et vingt-cinq d’auteurs divers (Asaph, fils de Koré, Moïse, Héman, Ethan).
Outre les indications concernant les psalmistes, les suscriptions contiennent différentes données relatives soit au genre littéraire ou poétique des psaumes qu’elles introduisent, soit à leur destination en vue du culte. Ces titres ont l’utilité de nous faire comprendre ce qu’étaient les Psaumes pour le peuple de l’ancienne alliance.
Nous faisons de même pour les indications musicales, dont quelques unes paraissent faire allusion à des mélodies connues, auxquelles on adaptait tel ou tel psaume, tandis que d’autres indiquent le ton ou l’instrument qui convenait à tel cantique, par exemple : Sur l’octave (Psaume 6), Pour soprano ou voix de jeunes filles (Psaume 46), Pour instruments à cordes (Psaume 6), Avec les flûtes (Psaume 5).
Cinquante-cinq psaumes portent l’indication : Au maître chantre. La traduction exacte du mot hébreu serait : « au président » ou « au surveillant ». On comprend qu’il s’agit de l’homme qui avait la haute direction des chœurs de Lévites organisés dès les temps de David pour vaquer au service du chant et de la musique sacrée dans les cérémonies religieuses (1 Chroniques 16.4). C’était là une charge considérable, puisque, sous David, quatre mille Lévites étaient mis à part pour « louer l’Éternel avec les instruments que le roi avait préparés pour le célébrer » (1 Chroniques 23 et 25).
Si nous tenons compte de cette organisation si grandiose et du respect pour les choses saintes qui animait David, nous comprendrons que, pour être remis au maître chantre, il fallait qu’un chant eût été reconnu digne, par la nature de son inspiration, aussi bien que par ses qualités poétiques, de servir d’expression aux prières et aux louanges d’Israël.
La poésie hébraïque ne possède ni le rythme, ni la rime. S’il arrive souvent que le rapprochement des mots et l’analogie des sons frappe l’oreille du lecteur, c’est l’inspiration personnelle du poète, à tel moment donné, qui produit de tels effets ; ce ne sont point les règles de son art.
L’harmonie poétique que nos langues de l’Occident recherchent dans la cadence des mots, l’hébreu la demande, si l’on peut s’exprimer ainsi, à la cadence des idées, au rapprochement ou à l’opposition de deux pensées, de deux images placées l’une en face de l’autre. C’est là ce que l’on appelle le parallélisme.
Deux vers ou stiches forment ou bien les deux moitiés d’une même affirmation, le second complétant le premier, ou bien une opposition, le second formant la contrepartie du premier. Il résulte de là tout naturellement une sorte d’ondulation de la pensée, qui s’élève jusqu’à la fin du premier vers, pour redescendre avec le second à un état de repos :
Éternel, fais-moi connaître tes voies,
Enseigne-moi tes sentiers.
Le juste a des maux en grand nombre ;
Mais l’Éternel le délivre de tous.
Quelquefois ce mouvement ondulatoire de la pensée se produit tout entier dans un même vers, ce qui n’empêche pas que, par une sorte de surabondance, il soit complété encore par un mouvement analogue du vers suivant.
La loi de l’Éternel est parfaite ; elle restaure l’âme ;
Le témoignage de l’Éternel est assuré ; il donne la sagesse au simple.
Il arrive souvent que la pensée ne se complète que dans un troisième vers. On obtient ainsi, au lieu d’un distique, un tristique ; ou bien encore deux distiques réunis forment une strophe de quatre vers, deux tristiques une strophe de six vers.
Les Hébreux ont connu les acrostiches, ainsi que le montre l’ordre alphabétique qui se trouve dans quelques cantiques. Le psaume se compose d’autant de strophes qu’il y a de lettres dans l’alphabet hébreu. Le premier mot de la première strophe ou du premier distique commence par la première lettre (Aleph), le premier mot de la seconde strophe par la seconde lettre (Beth), et ainsi de suite (Psaumes 25, 119, etc.). Parfois ce ne sont pas les strophes, mais les vers ou stiches qui se succèdent en donnant la série complète des lettres de l’alphabet (Psaume 111).
On comprendra qu’il est impossible dans une traduction de reproduire l’acrostiche hébraïque, d’autant plus que ni la suite, ni le nombre des lettres ne sont les mêmes en hébreu que dans notre langue. Les lecteurs de la Bible annotée ont déjà été rendus attentifs à ces acrostiches dans l’introduction aux Lamentations de Jérémie. Le but de cette forme poétique, que l’on peut être surpris de trouver dans la poésie sacrée, était sans doute de faciliter la mémorisation de certains psaumes dans lesquels la suite logique des pensées n’était pas assez rigoureuse pour s’imposer. Parmi les Psaumes alphabétiques, les uns (9 et 10) expriment des sentiments d’une grande vivacité, qui ne se soumettent pas facilement à un ordre logique ; d’autres ont plutôt un caractère didactique (25, 34, 111, 112, 119).
Indépendamment de ce détail, et pour en revenir au caractère essentiel de la poésie de l’Ancien Testament, nous devons encore remarquer un grand avantage qui lui est propre. Par cela même qu’elle consiste dans l’art de rapprocher ou d’opposer les idées, plus que dans celui d’agencer les mots et les syllabes, elle peut se reproduire, en une certaine mesure, dans toutes les langues humaines. Sans doute les traductions ne sauraient rendre la force, la concision, ni parfois la sonorité de l’hébreu ; mais aucune différence de langage ne peut détruire l’harmonie qui tient aux pensées, plus qu’aux mots. Cet avantage se retrouve dans les fragments poétiques du Nouveau Testament, dans le cantique de Marie, par exemple, ou dans celui de Zacharie, ainsi que dans quelques passages de l’Apocalypse où la prose s’élève au ton de la poésie. Ils ont commencé par être, sinon tous prononcés, du moins tous pensés dans la langue araméenne du premier siècle et d’après la forme poétique qui remonte à David et même à Moïse.
C’est ainsi que la poésie de la Bible se trouve être indestructible et universelle.