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Bossuet appelait Marc « le divin abréviateur » et de fait, pendant des siècles, des chrétiens ont affirmé l’antériorité de Matthieu ; le deuxième évangile en serait un résumé. La critique biblique a mis en doute cette opinion : Marc serait le plus ancien des évangiles synoptiques. Elle s’est appuyée sur une analyse critique des textes : quatre-vingt dix pour cent des versets de Marc se trouvent dans Matthieu sous une forme plus condensée, et la substance de cinquante pour cent d’entre eux se retrouve dans Luc. Plus de cinquante pour cent du vocabulaire de Marc est également utilisé par Matthieu et Luc, qui reflètent une même structure d’exposition biographique et semblent adapter un texte original à leur style personnel, plus souple, plus ample ou plus littéraire.

La thèse de l’antériorité de Marc n’a pourtant pas convaincu tous les exégètes. Nombre d’entre eux continuent d’être fidèles à l’ancienne tradition ; celle-ci réapparaît sous une forme plus moderne chez les critiques qui distinguent le Matthieu hébréo-araméen originel, directement issu des traditions orales primitives, du Matthieu grec, celui de nos évangiles. Ce dernier seul serait postérieur au Marc actuel. Ces fluctuations démontrent combien, en matière vétéro ou néo-testamentaire, notre savoir ne se hasarde le plus souvent que sur les rives de nos incertitudes et de nos ignorances.

Le deuxième évangile ne comporte pas de nom d’auteur, mais la tradition de l’Église l’attribue, unanime, à Marc, en grec Marcos. Ce prénom d’origine romaine, signifiant « Marteau », est cité à dix reprises dans le Nouveau Testament.

L’incertitude que nous retrouvons presque toujours en matière de chronologie biblique place, selon les auteurs, la date de la rédaction entre les années 40 et 75. Plusieurs critiques pensent qu’elle pourrait être de peu postérieure à la mort de Pierre (64). Le livre aurait été rédigé à Rome, à moins que ce ne soit, selon l’opinion de Jean Chrysostome, en Égypte, ou, selon d’autres, à Antioche. Son auteur était un Hébreu, un Sémite ; il parlait les langues de la Bible, l’hébreu et l’araméen ; il avait appris le grec mais le maniait sans habileté particulière.

L’évangile de Marc s’oriente tout entier vers ce qu’il y a de plus important au regard de son auteur : le procès, la passion, la mort et la résurrection de Iéshoua‘. La première partie n’est qu’une introduction qui décrit, après un préambule (1,1-13), le ministère en Galilée (1,14 à 7,23) et hors de Galilée (7,24 à 8,26). L’art consiste ici dans la simplicité de la narration et des discours qui définissent à grands traits la personne de Iéshoua‘, son enseignement, ses miracles, ainsi que les conflits que son action déclenche dans le pays.

Le voyage de Galilée à Jérusalem (8,27 à 10,52) sert de toile de fond aux instructions que Iéshoua‘ donne à ses adeptes. Le récit prend aussitôt un accent tragique par la confession de Césarée et la première annonce de la passion et de la résurrection (8,27-33).

Le récit du ministère de Iéshoua‘ à Jérusalem sert ainsi de prélude à la passion et à la résurrection. Marc distribue les faits et les gestes du messie en trois journées dramatiques (premier jour : 11,1-11 ; deuxième jour : 11, 12-19 ; troisième jour : 11,20 à 12,44). ll semble qu’il ait introduit dans ce cadre chronologique cinq discours de controverses qui appartiennent plutôt à la période galiléenne (11,27-33 ; 12,13-17 ; 12,18-27, 12,28-34 ; 12,35-37). Cette composition accroît cependant l’effet dramatique de la narration, qui débouche sur le discours apocalyptique (13,1-37) et le récit de la crucifixion et de la résurrection de Iéshoua‘ (14,1 à 16,8). La sobriété de Marc est exemplaire : il décrit les faits, sans qu’un cri d’horreur ou d’amour interrompe son récit. Pour lui, Iéshoua‘ devait mourir pour accomplir la volonté de IHVH-Adonaï, auprès de laquelle la lâcheté des adeptes, la trahison de Iehouda, l’hypocrisie des prêtres au pouvoir ou la barbarie des bourreaux romains, ne sont que des contingences. L’essentiel est que s’accomplisse la parole de IHVH-Adonaï.

Le style de Marc tire tout son relief du dépouillement de son vocabulaire. Marc n’a pas lu Homère, Platon ou Aristote. C’est un Hébreu, qui connaît la limite de ses ressources en grec. Il se met à la portée de son public en lui expliquant certaines coutumes bibliques (7,3-4 ; 14,12 ; 15,42) ou en traduisant en grec des expressions hébréo-araméennes (3,17 ; 5,41 ; 7,11-34 ; 14,36 ; 15,22-34).

Ses latinismes sont nombreux, et ceux-là, il ne prend pas la peine de les expliquer : les mots que nous traduisons denier, centurion, cens, quart d’as, grabat, légion, cruche, garde, satisfaire, sont dans le grec du deuxième évangile de simples transcriptions du latin.

Marc excelle à décrire des situations concrètes : il emploie 11 mots pour désigner la maison et ses parties, 10 pour divers vêtements, 9 pour les aliments. Visant à la précision, il note, en 113 passages, des détails qui seront omis par Matthieu et par Luc.

Comme tous les Hébreux de ce temps, Marc est imprégné de Bible : il pense en hébreu même quand il s’exprime en grec. Il multiplie les parallélismes, qui sont l’une des constantes de la pensée sémitique (11,28 ; 12,14 ; 13,4 ; 15,29). Les redondances trahissent son origine populaire et sa prédilection pour le style parlé ; il aime des répétitions de termes (les enseignements qu’ils enseignent, 7,7 ; la création créée par Elohîms, 13,19 ; des élus qu’il a élus, 13,20 ; l’inscription [...] écrite, 15,26).

Il n’est pas suffisant de parler d’une influence sémitique « indéniable » dans son livre. Même si l’hypothèse d’un original hébréo-araméen de Marc est souvent critiquée, l’auteur, parce qu’il est hébreu et qu’il est imprégné d’influences bibliques et hébraïques, pense toujours en hébreu. Moins directement peut-être que dans Matthieu, sous la surface du texte grec, ce sont les profondeurs de l’âme hébraïque que l’écrit découvre.

Une tradition qui date de Papias (vers 130) affirme que Marc, pour écrire son évangile, s’était appuyé sur la prédication et l’autorité de Pierre. Cette thèse, âprement discutée par la critique biblique, est pourtant confirmée par un examen du second évangile : celui-ci commence juste à l’instant ou Pierre devient l’adepte de Iéshoua‘ et il met l’accent sur le ministère galiléen, dont le centre est Kephar-Nahoum où se trouvait la maison de Pierre. Ce dernier a pu être le témoin oculaire des faits dont Marc se serait fait le chroniqueur.

Mais Marc, auteur indépendant, avait en tout cas à sa disposition la tradition orale largement diffusée par les adeptes. Nous retrouvons ici l’hypothèse d’un original hébréo-araméen du livre de Marc, éloquemment défendue par C. C. Torrey et bien d’autres : mais tant que cet original n’aura pas été découvert, elle ne demeurera qu’une hypothèse.

Marcos appelle son messie de différents noms : Iéshoua‘ (sous la forme hellénisée Ièsous) revient 82 fois, dont une sous la forme de Iéshoua‘ Mashiah, Ièsous Christos (1,1). La finale non marcienne l’appelle l’Adôn Iéshoua‘, Kurios Ièsous (16,19). Il est aussi le Rabbi (3 occurrences) et le Rabbouni (1 occurrence), le Nabi, inspiré, prophète (4 occurrences). Il serait regrettable d’oublier de désigner Iéshoua‘ sous ces deux derniers titres : ils le rattachent indissolublement à l’histoire de son peuple et à la Bible hébraïque.

Le portrait que Marc trace du rabbi-nabi est très humain. Plus que Matthieu et Luc, Marc fait revivre l’homme que fut Iéshoua‘ en nous faisant partager ses émotions, ses souffrances, sa faiblesse, son espérance. Cet homme est aussi un thaumaturge : Marc ne décrit pas moins de vingt miracles accomplis par Iéshoua‘ ; ils soulignent sa puissance et du même coup la perfidie de ceux qui refusent sa lumière et le feront mourir. Iéshoua‘ renonce cependant à utiliser sa puissance thaumaturgique pour convaincre les hommes de sa messianité et de sa divinité. Au contraire, il impose le silence aux malades qu’il guérit et il exige de ses adeptes le secret sur sa vraie personnalité. Car Iéshoua‘ est pour Marc non seulement le Mashiah, le Messie, mais encore, en sept occurrences, ho huïos tou theou, Bèn Elohîms, le Fils d’Elohîms.

C’est ainsi qu’en cernant au plus près les faits de la vie de Iéshoua‘ et de sa communauté, Marc souligne le mystère qui s’incarne en la personne et en l'œuvre du Fils de l’homme et culmine, après sa mort, en sa résurrection. Au-delà de la destruction de Jérusalem, que Iéshoua‘ pressent et qui finira par survenir en 70, le Fils de l’homme viendra dans les nuées avec la puissance et la gloire (13,26). Cette folle espérance ancrée dans le cœur des adeptes de Iéshoua‘ ne cessera d’animer le dynamisme de l’Église qu’il a fondée.


Introduction de la André Chouraqui

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