Bible Annotée Introduction

La Bible : ce nom réveille le souvenir des plus saintes émotions qui aient fait battre le cœur humain ; il rappelle à la pensée toutes les hautes espérances qui relèvent l’existence terrestre de son assujettissement à la loi de la souffrance et de la mort et qui la rattachent à un ordre de choses parfait, objet de nos meilleures aspirations. On peut dire que ce livre est entre les livres ce que le Fils de l’homme a été parmi les hommes. C’est ce qu’exprime ce nom de « Bible » ou « le Livre », mot qui est proprement un pluriel grec (biblia les livres) et que, le latin du moyen-âge a transformé en un singulier féminin, sans doute pour désigner cet ensemble d’écrits comme le livre par excellence, le moyen indispensable à chaque homme pour réaliser sa divine destination.

La Bible n’est pas à proprement parler un livre unique ; c’est un tout comprenant soixante-six écrits, composés durant les quinze siècles qui ont précédé la venue de Jésus-Christ et pendant le siècle qui l’a suivie, et, s’il est permis de hasarder ce chiffre, par une cinquantaine d’auteurs1 qui, sauf saint Luc, ont tous été d’origine juive. Les trente-neuf qui forment le premier recueil, appelé l’Ancien Testament, sont écrits presque entièrement en langue hébraïque ; les vingt-sept que comprend le second recueil, le Nouveau Testament, ont été composés en grec ; c’était la langue qui, depuis les conquêtes d’Alexandre-le-Grand, était devenue en quelque sorte la langue universelle. Le lien qui réunit en un tout ces soixante-six écrits est la pensée commune du règne de Dieu qui doit s’établir un jour au sein de l’humanité.

Dieu accomplit, en effet, une œuvre à l’égard des hommes, œuvre d’éducation et de rédemption, qui doit aboutir à la parfaite réalisation du Bien sur la terre. Mais cette œuvre ne peut s’accomplir sans le concours de l’homme. Êtres libres, nous devons nous y associer avec connaissance de cause, soit pour travailler à son accomplissement en nous-mêmes, soit pour la propager au sein de l’humanité. Pour l’un comme pour l’autre de ces buts, il est indispensable que nous connaissions et comprenions ce travail divin, et la Bible est le moyen permanent dont Dieu. a voulu se servir pour procurer aux hommes cette connaissance. Qu’il nous soit permis de développer en quelques mots cette pensée.

En créant l’homme à son image, Dieu s’est proposé, de donner l’existence à un être qu’il pût élever jusqu’à lui, associer à sa vie sainte et initier à ses pensées d’amour envers tous les êtres, afin de faire de lui l’organe de son activité et d’être un jour tout en lui. Aussi commença-t-il immédiatement à son égard un travail éducatif, dont l’acte le plus caractéristique fut un commandement propre à élever l’homme de la dépendance de ses instincts naturels à la pleine domination de lui-même, à la liberté morale.

Cette œuvre d’éducation ne cessa point lorsque, par sa désobéissance, l’homme rompit volontairement le lien spirituel qui l’unissait à Dieu ; mais elle changea de nature. Tout en travaillant à élever l’homme, Dieu dut s’occuper de son relèvement. D’éducative, son œuvre devint rédemptrice, libératrice. Par la faute qu’il avait commise, l’homme s’était attiré deux maux : il avait encouru la condamnation divine et il était tombé sous l’esclavage de ses penchants. Jésus l’a dit : « Celui qui fait le péché est esclave du péché ». Une fois ce principe d’opposition à la volonté divine, l’amour prépondérant du moi, introduit dans la nature humaine, il ne pouvait que produire ses fruits. Si donc la haute destination de l’homme devait se réaliser encore, une délivrance, était nécessaire, délivrance qui, d’un côté, devait être l’œuvre de Dieu, mais qui, de l’autre, ne pouvait s’accomplir chez l’homme sans son consentement et sa coopération. On comprend ainsi : 1° pourquoi le travail d’éducation dut devenir en même temps une œuvre de rédemption ; et 2° pourquoi cette rédemption dut nécessairement être accompagnée d’une œuvre de révélation. Si l’homme, comme être libre, devait concourir activement à sa propre délivrance, et par conséquent connaître le plan de Dieu à son égard, il fallait que ce plan lui fût révélé ; car par lui-même il n’eût pu le découvrir ; il eût ignoré jusqu’à l’intention de Dieu de lui faire grâce et de le sauver. L’acte par lequel Dieu fait connaître à l’homme ses pensées envers lui, c’est la révélation.

Il y a une révélation primitive, universelle, permanente, celle que Dieu opère, dès le commencement, dans le cœur de l’homme par le moyen des œuvres de la nature qu’il a placées sous nos yeux comme un tableau toujours présent, où nous pouvons contempler et étudier ses admirables perfections, en particulier sa puissance, sa sagesse et sa bonté2. En face de ce spectacle, il suffit à l’homme, de ses sens, de son intelligence et de quelque réflexion pour entrevoir, à travers tant de causes agissantes et d’effets produits, tant de moyens appropriés à tant de buts bienfaisants, la cause première d’un tel univers, l’auteur intelligent et bon d’un pareil ouvrage.

À cette révélation s’en joignit, dès l’origine, une plus intime et plus éloquente encore, sans laquelle la révélation extérieure eût difficilement été comprise ; nous voulons parler de la voix solennelle qui proclame dans la conscience humaine la loi morale, la distinction du bien et du mal, l’obligation de choisir le premier et de rejeter le second. Cette voix, indépendante de notre volonté et de nos penchants, nous révèle Dieu comme l’être saint, comme le législateur qui prescrit le bien et condamne le mal, comme le juge qui punit l’un et récompense l’autre, comme l’être à l’œil duquel rien n’échappe. C’était cette révélation, que Dieu donne incessamment de sa présence et de sa volonté par le double moyen de la nature et de la conscience, que l’apôtre avait en vue quand il disait aux païens d’Asie-Mineure « Dieu ne s’est pas laissé sans témoignage3 ». C’est là le point de départ de tout sentiment religieux chez les hommes, le point d’appui de toute l’éducation par laquelle Dieu cherche à les élever à lui, le principe de l’idée plus ou moins confuse de l’être divin, qui a formé de tout temps et forme encore aujourd’hui le fond du paganisme même le plus dégradé.

Mais cette révélation primordiale, par laquelle Dieu manifeste incessamment à l’homme son existence et les traits fondamentaux de sa nature, ne nous fait pas connaître les plans de sa sagesse à notre égard. Par les beautés de la nature et la voix sainte de la conscience, nous pouvons bien pressentir la perfection de Dieu et l’excellence de sa volonté. Mais ces moyens naturels ne sauraient nous instruire des desseins précis de cette volonté et de ses vues envers nous. Pour que l’homme connaisse la position sublime à laquelle Dieu l’appelle, il faut une révélation d’une nature différente, à laquelle devait le préparer l’usage fidèle de la révélation première que nous venons de décrire.

Cette révélation supérieure est celle qui, comme nous le disions, ne saurait manquer d’accompagner l’œuvre de rédemption destinée à arracher l’homme à son état de dégradation et à le rendre de nouveau capable de réaliser sa sainte destination. Et comme c’est par Jésus-Christ que cette réhabilitation a été accomplie, c’est aussi en lui que nous avons reçu l’interprétation, de cette œuvre, la révélation parfaite. Jésus a dit à ses apôtres : « Je ne vous appelle pas serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que son maître fait ; mais je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père4 ». Que s’il manque encore quelque chose à cette communication céleste, il promet d’y suppléer par l’envoi de l’Esprit de vérité qui dira aux apôtres « tout ce qu’il aura entendu du Père5 ». Et maintenant, connaissant les plans de l’amour divin en sa faveur, l’homme peut s’associer librement et activement à leur réalisation envers lui-même et envers le monde.

Entre la révélation primitive et cette dernière révélation, se place une série de révélations intermédiaires, qui ont accompagné et secondé le travail éducatif que Dieu n’a pas cessé d’accomplir depuis la chute de l’homme jusqu’à la venue de Jésus-Christ. Nous ne parlerons pas ici des communications divines dont l’Ecriture fait mention antérieurement à celles qui ont fondé et maintenu l’existence du peuple d’Israël. Nous nous arrêtons spécialement à ces dernières, qui forment la révélation israélite proprement dite. Elle a été le trait d’union entre la révélation primitive et la révélation finale. Elle a servi à conserver la lumière de la première prête à s’éteindre, et à préparer la dernière, comme l’aurore prélude à l’apparition du soleil ; c’est celle qui nous intéresse plus particulièrement ici, puisque nous allons nous occuper spécialement de l’Ancien Testament.

Quand Dieu appela Abraham à émigrer de la Mésopotamie pour aller habiter une contrée plus occidentale, le pays de Canaan, sa patrie était déjà envahie par l’idolâtrie. Ce n’est pas seulement l’Ecriture qui nous l’apprend ; les nouvelles découvertes qui ont fait connaître la contrée et même la ville où habitait primitivement Abraham, ont fourni les preuves incontestables du paganisme effréné qui y régnait. Le monothéisme, la croyance au vrai Dieu, au Dieu unique et saint, cette foi primitive de l’humanité, dont la conservation était la condition indispensable de la rédemption future, n’avait plus qu’un petit nombre de représentants, qu’un seul peut-être, Abraham lui-même. L’isoler de son milieu naturel, le transporter au loin chez des peuples avec lesquels il n’avait rien de commun, afin de fonder par son moyen un peuple nouveau, ce fut là le premier acte de l’œuvre rédemptrice, le commencement décisif de l’histoire du salut. Par là, Dieu se forma l’instrument qui devait lui servir d’organe auprès de toutes les autres familles de la terre6, pour leur transmettre la bénédiction par laquelle il répondait à la foi et à l’obéissance d’Abraham. Dès le commencement, Dieu dirigea le développement de la famille d’Abraham, il maintint chez elle le flambeau de sa connaissance qui s’éteignait partout ailleurs. Plus tard, il la tira de nouveau du milieu dans lequel il l’avait transplantée et où elle menaçait de se corrompre, et la transporta, pour des siècles, de Canaan en Égypte. Puis, l’arrachant brusquement de ce dernier pays, il l’emmena au désert, où il pourvut à sa conservation. Par la loi qu’il lui donna, il en fit un peuple complètement séparé de tous les autres et qu’en même temps il sanctifia pour son service par le culte qu’il institua dans son sein.

Or, chacune des phases de ce travail éducatif fut accompagnée d’une révélation propre à en faire comprendre le sens. Quand Dieu (Élohim) appela Abraham, il se révéla à lui en prenant le nom de El-Schaddaï, le Dieu puissant, qui dispose en maître des forces de l’univers. Au moment de la sortie d’Égypte, ce Dieu-Élohim se révéla à Moïse, et par lui au peuple, en sa qualité de Jahvé (Jéhova)7 ; ce nom n’était pas entièrement inconnu auparavant, mais ce n’était pas encore celui sous lequel Dieu était ordinairement invoqué. C’est ce nom que nous traduisons par le mot l’Eternel : « Celui qui est et qui sera », l’être qui existe par lui-même, non plus seulement donc l’Être puissant, mais l’Être absolu, celui qui seul est dans le plein sens du mot, qui n’a pas, comme tous les autres, passé du néant à l’existence, mais qui possède l’existence comme sa nature, celui par la volonté duquel seul, par conséquent, tout autre être existe et qui seul tient dans sa main le cours de l’histoire de l’humanité et de l’univers. Il se donne à Israël comme son Dieu national. Par Lui, toute l’humanité, tout l’univers doivent concourir au bien de ce peuple qui porte en son sein le salut du monde. La révélation de Dieu comme Schaddaï plaçait la religion israélite au-dessus des autres, sa révélation comme Jéhova en fait la religion unique. Il y a dans ce nom le démenti le plus absolu donné à l’existence de toute autre divinité, une déclaration de guerre à outrance adressée à toute divinisation de la créature, et à toute religion polythéiste. C’est là la raison pour laquelle ce nom divin se trouve placé comme à la base de l’existence du peuple élu.

Voilà le principe sur lequel fut établie la législation du Sinaï et la constitution israélite. Par cette révélation d’Élohim comme Jéhova, Israël devient le premier-né de Dieu, la première nation éclairée de sa connaissance ; il est le peuple enrôlé pour travailler au renversement du paganisme, le champion du règne et de la gloire de Dieu ici-bas.

Ainsi, dès ses premières origines, l’histoire du salut a été accompagnée et même en quelque sorte créée par une série d’actes de révélation. Les agents de l’œuvre divine, Abraham, Moïse, ont été élevés à la connaissance du dessein de Dieu, afin de se consacrer à son exécution ; et, par leur intermédiaire, leur peuple entier a reçu communication de cette lumière, afin de se l’approprier et de la réaliser dans sa vie collective et individuelle.

Nous ne poursuivrons pas cette histoire dans ses détails ; quiconque l’a étudiée, sait qu’elle est soumise toute entière à la même loi. Les révélations prophétiques ont éclairé chacune des phases de l’œuvre divine au sein du peuple : David, Salomon, Roboam, leurs successeurs, le peuple en général jusqu’à la captivité, ont été visités par la lumière prophétique destinée tantôt à les humilier, tantôt à les relever, tantôt à les diriger. Comme les entretiens d’un père avec son enfant accompagnent chacune des mesures qu’il croit devoir prendre pour activer ses progrès, ainsi les révélations divines appuyaient nécessairement les dispensations extérieures, réjouissantes ou douloureuses, dont Israël était l’objet, et travaillaient à les rendre fécondes pour son développement moral et intellectuel. La construction du temple, la captivité de Babylone, le retour de l’exil, toutes ces phases décisives ont été annoncées ou interprétées par les instructions prophétiques. C’était la condition de l’influence morale qu’elles devaient exercer. Nous constatons ici une loi que Dieu lui-même a énoncée, quand il a dit : « Cacherai-je à Abraham. ce que je m’en vais faire ? Car je sais qu’il enseignera à ses enfants, après lui à marcher dans mes voies » (Genèse 18.17-19). Cette même loi, le prophète Amos la formule également en disant : « Dieu accomplira-t-il quelque chose qu’il ne le fasse connaître à ses serviteurs les prophétes ? » Pour éduquer son peuple et préparer la rédemption, Dieu n’a pas seulement agi comme maître des événements ; il a parlé, afin d’expliquer ses actes. Enfin, lorsque est venu le moment de réaliser le don suprême, celui du salut, il n’en a pas agi autrement ; et, comme nous l’avons vu, la révélation parfaite a été l’un des éléments essentiels de l’œuvre finale.

Nous pouvons maintenant comprendre ce qu’est la Bible.

Elle n’a point été composée comme un catéchisme destiné à révéler un système de vérités religieuses ou de préceptes moraux ; c’est le tableau gradué d’une histoire dont Dieu dirige le cours, parce que cette histoire est celle du développement de son propre règne, le compte-rendu de l’œuvre par laquelle se réalise sur la terre le plan divin. Cette œuvre, dans son développement, renferme toujours deux ordres de faits étroitement unis ; les actes divins et les paroles divines ; les dispensations historiques et les révélations qui les éclairent. Ces deux facteurs de l’histoire que nous retrace la Bible, ne nous sont connus que par elle. Nous ne pouvons donc nous associer à l’œuvre de Dieu, soit pour nous l’assimiler nous-mêmes, soit pour la présenter à d’autres, que par le moyen de ce document. C’est là ce qui fait sa valeur unique, sa dignité incomparable ; c’est là ce qui justifie son nom de Livre des livres.

On a contesté souvent l’idée d’une série d’interventions et de révélations divines qui auraient accompagné l’histoire d’Israël et de l’humanité. Les uns admettent, il est vrai, un développement dans la conscience humaine et dans l’histoire du monde, et reconnaissent que ce progrès est conforme à l’intention de l’invisible Créateur ; mais ils nient qu’il y mette lui-même la main en manière quelconque. Il suffit, pensent-ils, pour l’opérer, de l’exercice des facultés naturelles dont Dieu nous a doués au commencement : la raison, la conscience, la volonté. Au moyen de ces dons, l’homme est appelé à progresser spontanément. Tout naturellement ses connaissances s’accroissent, ses notions morales s’épurent, sa volonté, se rectifie, et le progrès se consomme sans qu’il soit besoin pour cela d’une intervention directe de la divinité.

Ou bien l’on concède la nécessité d’une certaine coopération divine ; mais on envisage ce concours d’en-haut comme continu et purement intérieur. On pense que l’Esprit infini soutient et stimule l’esprit humain dans son progrès, en faisant éclore successivement les germes de vérité et de sainteté qu’il a primitivement déposés en lui, et en dirigeant en même temps les événements extérieurs, pour les faire concourir au développement intellectuel et moral de l’humanité.

Au premier de ces deux points de vue, qu’est la Bible ? La réunion de deux éléments hétérogènes qu’il faut avoir soin de séparer ; l’un comprenant toutes les vérités naturellement écrites dans la conscience et dans la raison humaines, toutes les nobles intuitions morales dont la Bible est devenue l’interprète le plus populaire ; l’autre comprenant tous ces récits d’interventions et de révélations surnaturelles qui abondent dans la Bible, et dont il faut attribuer l’origine uniquement à la superstition et à l’ignorance des temps anciens. Il faudra donc trier dans ce livre l’élément vrai, qui n’est autre que le fruit de nos connaissances naturelles, et l’élément fictif qui, dans des siècles moins éclairés, a servi d’enveloppe au premier.

D’après le second point de vue, les interventions divines dont il est fait mention dans les Ecritures, ne seraient pas de pures fictions ; elles représenteraient seulement, sous une forme imparfaite et un peu grossière, le concours incessant que Dieu prête à l’esprit humain dans son travail ; et tout ce que nous aurions à faire pour être dans le vrai à l’égard de la Bible, ce serait d’interpréter cet élément surnaturel de manière à le réduire au fait tout simple d’un secours providentiel, d’une coopération constante, par moments plus extraordinairement marquée, de l’Esprit divin à l’activité humaine.

À priori, on ne peut déclarer inadmissible l’un ou l’autre de ces points de vue sur l’histoire en général et sur la Bible en particulier. Rien n’empêche que Dieu n’ait suivi, dans l’éducation humaine, l’une ou l’autre de ces deux marches. La première serait plus conforme à l’intuition déiste, d’après laquelle Dieu, après avoir donné l’existence à l’homme, le laisse se tirer d’affaires par lui-même, sans plus s’occuper de lui que s’il n’était pas son ouvrage, se bornant à le regarder agir et lutter.

La seconde est plus en rapport avec la conception panthéiste de l’univers, d’après laquelle, Dieu vit lui-même dans le monde et dans l’homme, tous deux étant sa manifestation plutôt que son œuvre.

Mais il y a une troisième conception de la relation entre Dieu et l’homme, et par là même aussi une troisième manière de considérer la Bible. On peut concevoir que Dieu ait, par amour, créé l’homme à sa ressemblance, c’est-à-dire comme être libre, qu’il se soit proposé de contracter avec lui une relation morale, un rapport d’amour, et de le faire participer enfin à sa félicité et à son activité. De cette conception résulte immédiatement l’idée d’un travail éducateur de Dieu à l’égard de l’homme, et, si l’homme vient à se détourner du bien, l’idée d’une œuvre rédemptrice de Dieu envers cette créature coupable, mais aimée. C’est à cette troisième intuition que correspond la conception biblique de l’histoire de l’humanité et, par conséquent aussi, la notion de la Bible d’après la Bible elle-même.

Entre ces trois intuitions possibles, c’est à l’histoire qu’il appartient de décider : les faits seuls peuvent nous apprendre laquelle de ces voies a été suivie. Sans doute, nous ne connaissons l’histoire sur bien des points que par la Bible ; mais il existe toute une série de faits dont nous avons le moyen de contrôler la réalité, indépendamment de toute autorité particulière attribuée aux documents bibliques. Voici les principaux de ces faits :

  1. l’existence du peuple d’Israël, comme peuple complètement à part, que distingue de tous les autres le souffle monothéiste qui pénètre son histoire. Toutes les explications que l’on a cherché, à donner de ce fait étrange en face du paganisme qui a entraîné les nations anciennes, même les plus intelligentes et les plus civilisées, se sont montrées insuffisantes. On a parlé de l’influence de la vie dans le désert. Mais cette vie est le partage de bien des tribus arabes qui ont vécu plongées dans l’idolâtrie. On a allégué une prédisposition particulière de l’esprit sémitique au monothéisme. Mais cette disposition de race est contredite par le polythéisme grossier de toutes les autres branches de cette famille (syrienne, assyrienne, arabe, éthiopienne). Ne pouvant expliquer le fait, on a cherché à le dissoudre ; on a nié le monothéisme national au temps de Moïse, pour faire de cette croyance élevée le produit de l’activité postérieure des prophètes. Mais, d’abord, n’y a-t-il pas là une pétition de principe ? S’il n’y a pas de révélation, où les prophètes eux-mêmes ont-ils puisé ce monothéisme puissant au nom duquel ils luttent si ardemment contre l’idolâtrie populaire et qu’ils finissent par faire triompher ? Mais surtout, il y a là une contradiction historique : Comment les prophètes accuseraient-ils le peuple idolâtre d’infidélité à Jéhova, si le principe monothéiste n’avait pas existé avant eux ? Ils devraient se présenter en éducateurs, en initiateurs, mais non en censeurs, avec des discours pleins de reproches, d’appels à la repentance et de menaces. Comment le peuple lui-même, au retour de la captivité, reconnaîtrait-il si bénévolement dans cette catastrophe un juste châtiment qu’il s’est attiré par son idolâtrie, si aucune norme existant auparavant ne l’eût forcé à se condamner de la sorte ? On ne saurait effacer de l’histoire ce grand fait : que, pendant que tous les autres peuples, même ceux qui s’élèvent à la civilisation la plus brillante, descendent le courant du paganisme, sous ses formes diverses, un seul peuple, l’un des plus petits et, à certains égards, des moins cultivés, tout saturé, lui aussi, des mêmes instincts idolâtres, remonte néanmoins ce courant qui entraîne tous les autres, comme s’il était porté par une invisible main, et finit par arriver au monothéisme le plus absolu. Ce n’est pas tout ; il y a ici un trait plus étonnant encore : Israël ne possède pas seulement, lui seul, la vraie connaissance ; mais il porte en lui-même la conscience distincte et absolument certaine d’exercer une mission envers le monde ; il se sait appelé à faire triompher la foi monothéiste dans l’humanité et à conduire à l’obéissance de son Dieu tous les autres peuples. S’il y a là un fait purement naturel, comment ne s’est-il jamais produit ailleurs rien de pareil ? Où trouver en Grèce, chez ce peuple le mieux doué de l’ancien monde, le moindre indice d’un travail civilisateur qui aurait eu pour but le reste de l’humanité ? Il est donc impossible de ne pas constater, dans l’existence et l’histoire d’Israël, une intervention divine particulière.
  2. La chaîne des prophètes depuis Moïse et spécialement depuis Samuel jusqu’après le retour de la captivité. Durant six siècles au moins, nous constatons l’apparition d’une série d’hommes dont chacun reprend le travail de ses devanciers ; qui ne cherchent rien pour eux-mêmes, qui sacrifient toute leur existence au devoir de faire triompher la connaissance et le culte de Jéhova, du Dieu unique et saint, dans la conscience et la vie de leur peuple ; qui luttent dans ce but avec une indomptable énergie, acceptant tous les outrages et toutes les souffrances que leur attire cette mission, se déclarant eux-mêmes appelés à cette lutte sainte par Jéhova, parfois cherchant à échapper à une si rude tâche, mais toujours ramenés à l’œuvre par la puissance qui les domine. D’autres peuples, sans doute, ont eu des sages qui ont entrevu de hautes vérités et en ont fait part à quelques adeptes. Mais où trouver une apparition analogue à la chaîne d’or non interrompue dont les prophètes israélites sont les anneaux ?
  3. La nature des paroles qu’apportent les prophètes de la part de Jéhova. Ce ne sont pas de simples déclarations morales ou religieuses sur le caractère de Dieu et sur les devoirs de l’homme envers lui, telles qu’elles pourraient, à la rigueur, résulter d’un développement précoce, en Israël, de la conscience et de l’intelligence naturelles. Ce sont des déclarations exposant les plans divins, soit quant au sort et à la mission d’Israël, soit quant à la « fin des jours », c’est-à-dire à l’établissement final du règne de Dieu, ce terme divinement prévu et voulu de l’histoire du monde. Israël est le peuple par lequel Dieu se glorifiera sur la terre ; toutes les familles du monde seront bénies en lui ; c’est en Sion que les peuples viendront chercher l’instruction sous l’influence de laquelle régnera entre eux la paix. Le moyen par lequel Israël remplira cette mission sera l’apparition d’un être miraculeux, sorti de son sein, en qui Jéhova célébrera son avènement sur la terre ; qui, plein de douceur et d’humilité, sauvera les petits et jugera les orgueilleux ; dont l’apparition fera tressaillir des rois et des peuples nombreux ; qui s’offrira lui-même en victime expiatoire pour le péché de son peuple qui, après son sacrifice, prolongera ses jours, fera prospérer ici-bas le dessein de Dieu et, par sa justice et son intercession, en justifiera plusieurs. Il réunira en sa personne deux charges qui, d’après la constitution israélite, devaient rester strictement séparées, celles de sacrificateur et de roi ; un précurseur préparera son avènement en Israël ; et néanmoins ce peuple d’Israël d’où sort le salut, rejettera obstinément le Sauveur issu de lui, tandis que le monde entier le recevra. Qui prétendra que ce soient là de simples pressentiments religieux et moraux inspirés par les lumières naturelles ? Ajoutons que ceux qui proclament ces oracles, le font avec la conscience intime qu’ils les apportent directement de Dieu. Devrions-nous suspecter la sincérité de pareils hommes ? La consécration de leur vie à leur mission et les souffrances qu’elle leur attire les met à l’abri de tout soupçon. En face de l’accomplissement qui a couronné leurs prophéties, l’hypothèse d’une illusion ne se soutient pas davantage.
  4. L’annonce d’une nouvelle alliance. La religion israélite présente ce phénomène unique d’une religion qui, tout en se donnant pour révélée, annonce pourtant sa propre abolition et son remplacement par une religion plus spirituelle et plus salutaire encore8. l’action révélatrice de l’Esprit saint pourrait-elle se manifester par un signe plus frappant ?
  5. L’accomplissement dans la plénitude des temps de toutes ces intuitions prophétiques si étonnantes. Le représentant de Jéhova annoncé a paru, le monde a contemplé l’Être parfaitement saint qui avait été décrit à l’avance ; le règne de Dieu a été fondé sur son sacrifice sanglant ; le monde païen a reçu la nouvelle loi de Jéhova qu’Israël lui a transmise. Jésus a dit : « On reconnaît l’arbre à son fruit ». l’apparition sainte et l’œuvre d’amour de Jésus, au terme de l’histoire d’Israël, suffiraient pour démontrer l’origine divine de l’arbre qui a porté ce divin fruit.

Il nous paraît donc qu’entre les trois conceptions exposées plus haut, l’histoire a décidé : Dieu est intervenu ; il s’est manifesté en actes et en paroles ; et la Bible est le document dans lequel ont été consignées et conservées, par sa volonté, ses dispensations envers les hommes et les révélations par lesquelles il leur a donné graduellement l’intelligence de ses desseins.

Mais devons-nous pour cela envisager la Bible comme un livre dicté directement par l’Esprit divin aux hommes qui l’ont rédigé ? On a souvent compris dans ce sens la parole ainsi traduite : « Toute l’Ecriture est divinement inspirée », et on a cru pouvoir faire de la Bible un recueil. d’oracles tombés du ciel, que ses auteurs n’auraient fait que consigner. Mais la Bible elle-même n’autorise pas une pareille, conception.

Les écrivains de l’Ancien Testament, quand ils racontent l’histoire du peuple, citent fréquemment les sources où ils puisent les faits qu’ils rapportent : ce sont des écrits plus anciens que les leurs, et nous n’avons aucun droit d’étendre à ceux-ci la notion d’inspiration directe que nous prétendrions appliquer à l’écrivain biblique. Dans le Nouveau Testament, l’un des quatre évangélistes, saint Luc, nous déclare qu’il n’a composé son évangile qu’après avoir recueilli tous les renseignements qu’il a pu obtenir sur l’histoire du Sauveur9 ; aurions-nous le droit d’étendre le don de l’inspiration absolue aux diverses personnes qu’il avait consultées ?

Il y a plus : quelquefois les récits parallèles d’un même fait, contenus dans différents livres bibliques, ne s’accordent pas entièrement ; ce cas se présente même dans nos récits évangéliques. Ces différences n’ont aucune importance si l’on envisage les Ecritures comme destinées à nous faire connaître l’œuvre de Dieu pour le salut de l’humanité ; mais elles nous paraissent décisives pour exclure une conception de la Bible qui laisserait supposer que l’Esprit divin s’est quelquefois contredit lui-même.

Il y a dans le Nouveau Testament une foule de citations tirées de l’Ancien, et le sens donné par l’écrivain chrétien aux passages qu’il cite n’est pas toujours exactement conforme au sens que ce passage avait dans l’original hébreu. Cette différence résulte parfois de ce que les auteurs du Nouveau Testament citent fréquemment l’Ancien d’après la version grecque faite à Alexandrie et dite des Septante, version qui s’écarte bien souvent du vrai sens du texte hébreu. D’autres fois, les apôtres paraissent citer simplement de mémoire. De pareils faits seraient inexplicables si, dans tous ces cas, c’était l’Esprit saint qui s’était cité lui-même. Comment aurait-il pu le faire inexactement ?

Enfin, on ne saurait méconnaître chez les écrivains sacrés toute la réalité des émotions et des sentiments humains. Sans doute l’Esprit saint domine les mouvements de leur âme ; mais ces mouvements n’en sont pas moins ceux de la personne même qui les exprime. Si l’on constate une certaine variété dans la manière dont ils conçoivent et présentent la pensée du salut divin, d’où cela vient-il, si ce n’est de ce que chacun d’eux a un passé qui l’a rendu apte à saisir ce salut sous un certain aspect plutôt que sous un autre ? Ce fait n’exclut nullement l’action révélatrice de l’Esprit, mais il montre qu’il faut la comprendre de manière à ne pas écarter le concours des expériences personnelles de l’écrivain sacré dans la formation de sa conception religieuse. Entre l’Ancien et le Nouveau Testament il y a aussi des différences résultant de la nature progressive de la révélation divine. Ainsi quand les auteurs de certains psaumes maudissent leurs ennemis personnels ou ceux du peuple, israélite ; au point de vue de la révélation qu’ils avaient reçue, celle de la loi, ils ont raison : « œil pour œil, dent pour dent ». Mais quand la révélation aura fait un pas de plus et que la charité aura triomphé de la loi, il ne sera plus possible aux organes de l’Esprit divin de parler ainsi, et les accents du pardon remplaceront les appels à la juste rétribution. Dans des cas comme ceux-là, le partisan de l’inspiration absolue devra reconnaître, pour le moins, que l’Esprit saint a voilé momentanément une partie de sa lumière pour s’accommoder à l’état d’imperfection des époques plus anciennes, en vue desquelles il inspirait l’auteur sacré.

Pour toutes ces raisons, nous ne saurions envisager la Bible comme exposant d’un bout à l’autre et à titre égal une révélation divine immédiate. Elle est, comme nous l’avons dit, non la révélation elle-même, mais le document des révélations que Dieu a données dans le cours de l’histoire du salut.

Il y a dans la Bible des parties qui reproduisent directement ces révélations : c’est le cas dans les nombreux. passages où l’écrivain sacré, après avoir reçu la communication divine, déclare lui-même qu’il énonce ce que l’Éternel lui a dit ; ainsi bien souvent chez les prophètes ; ainsi encore chez saint Paul lorsqu’il expose son Évangile, dont il a reçu la connaissance par Christ lui-même, ou lorsqu’il rapporte certain fait particulier, tel qu’il l’a reçu du Seigneur10. Il y a d’autres parties dans lesquelles la relation entre l’acte révélateur et la teneur du texte biblique est moins directe ; ainsi dans les portions historiques puisées soit dans la tradition nationale ou dans la narration apostolique, soit dans les souvenirs personnels de l’auteur, soit dans le récit plus ancien de quelque témoin des faits. La révélation porte plutôt alors sur le point de vue auquel les faits nous sont présentés. Car l’Esprit saint, en général, ne révèle pas l’histoire, mais il en dévoile le sens et il donne à l’écrivain de la contempler et de la reproduire sous son vrai jour. Par exemple, lorsque les historiens de l’Ancien Testament prononcent un jugement sur les événements et sur les hommes, ne semblent-ils pas avoir en mains la balance divine ? Ou quand chacun des évangélistes présente l’une des faces de la gloire spirituelle de Jésus-Christ, ne touchons-nous pas du doigt l’accomplissement de cette promesse du Seigneur lui-même : « Quand l’Esprit de vérité sera il me glorifiera [en vous]11 ». Qu’importe si, à côté de cela, l’écrivain vient à commettre dans sa narration une inexactitude de détail, à mettre par exemple deux aveugles ou deux démoniaques là où les autres narrations ne parlent que d’un seul ? Jésus en est-il moins pour cela la lumière du monde, le pain de vie de nos âmes ? Il y a aussi des portions qui expriment moins une révélation nouvelle que les sentiments produits chez l’écrivain ou les réflexions qui lui sont suggérées par les révélations antérieures. On remarque souvent chez les prophètes qu’après avoir énoncé la parole divine qui a été formée dans leur cœur par l’Esprit, ils en font le texte d’un développement et le point de départ d’applications pratiques, sous la direction du même Esprit qui leur a donné la révélation proprement dite. Dans les Psaumes (nous parlons de ceux qui ne sont pas prophétiques), dans les Proverbes, Job, l’Ecclésiaste, nous trouvons non l’expression d’une révélation actuelle, mais le fruit des révélations précédentes que s’est assimilées un membre de la communauté israélite et qu’il reproduit tantôt sous la forme de chants de douleur ou d’hymnes de reconnaissance, tantôt sous celle de méditations et de sentences propres à diriger les pensées et la vie de son peuple.

On peut appliquer une appréciation analogue à ces écrits du Nouveau Testament qui, sans être apostoliques quant à leurs auteurs, le sont quant à leur esprit, comme les épîtres de Jacques et de Jude ; compagnons d’œuvre des apôtres, les auteurs de ces écrits partent de la révélation générale accordée aux apôtres touchant la personne et l’œuvre de Christ et la reproduisent avec l’autorité et les lumières de leurs expériences personnelles. De tels écrits peuvent être envisagés comme la transition entre les écrits apostoliques proprement dits, qui forment le noyau du Nouveau Testament, et ceux dont se compose la littérature chrétienne des âges subséquents.

Malgré ces différences entre les écrits bibliques, il faut se garder de méconnaître la ligne de démarcation très distincte qui les sépare, dans leur ensemble, des autres ouvrages juifs ou chrétiens. Sans vouloir présenter ici une théorie du fait de l’inspiration, nous essayerons cependant de donner une idée des caractères distinctifs qui font des écrits bibliques un tout à part, marqué d’un sceau divin spécial.

  1. Les écrits bibliques émanent certainement en général de l’époque où s’est préparé, ainsi que de celle où a été accompli le salut divin, par conséquent des deux époques où ont eu lieu les révélations préparatoires et les révélations définitives. Les écrits bibliques sont ainsi les monuments les plus immédiats de la révélation de Dieu à l’homme. Sans doute il est nécessaire qu’après cela chaque homme s’approprie cette révélation première: « Que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de gloire, écrit saint Paul aux Éphésiens (1:17), vous donne l’Esprit de sagesse et de révélation, dans sa connaissance, les yeux de votre entendement ouverts pour connaître… » Mais ce n’est là qu’une révélation secondaire en comparaison de la révélation primordiale donnée au monde par l’intermédiaire des agents divins et qui nous a été conservée par l’Ecriture. Celle-ci est le moyen par lequel celle-là s’opère, comme les photographies multiples d’une figure procèdent toutes du cliché qui l’a reproduite sur l’original. Les écrits juifs postérieurs à l’Ancien Testament, la Sagesse de Jésus, fils de Sirach, la Sapience de Salomon, les livres des Maccabées, les traités de Philon, qui ne procèdent plus de l’époque révélatrice, ne possèdent de la lumière donnée d’en-haut que ce qu’ils ont emprunté aux écrits bibliques. Il en est de même dans l’Église des écrits des Pères et des Réformateurs, ainsi que de tout témoignage ou enseignement chrétien, par rapport aux écrits du Nouveau Testament. Jésus disait dans sa dernière prière, en parlant des apôtres : « Je te prie pour tous ceux qui croiront en moi par leur parole ».
    Sans doute on peut discuter sur l’origine de tel ou tel d’entre les livres bibliques et se demander si sa composition appartient réellement à l’époque des prophètes ou à celle des apôtres. Mais quant à l’ensemble, la question n’est pas douteuse. Et lorsque le fait de la composition prophétique ou apostolique ne ressort pas directement du livre lui-même, il y a là pour l’Église un objet d’étude sérieuse, auquel elle n’a pas plus le droit de se soustraire aujourd’hui qu’elle ne l’a fait dans les premiers temps de son existence.
  2. À ce premier caractère des documents bibliques, leur origine dans la période même des révélations divines, s’en rattache étroitement un second, leur inspiration. Dieu n’a pas créé l’homme en vue de sa ressemblance sans se réserver les moyens de communiquer intérieurement ou extérieurement avec lui. Celui qui s’appelle « le Père des esprits de toute chair », ne saurait s’être fermé l’accès du cœur de ceux dont il voulait faire ses enfants. Lors donc que sonne dans le cours de l’histoire l’une de ces heures où il se propose d’imprimer une impulsion nouvelle à son œuvre éducative et rédemptrice, il entre en relation directe avec l’homme qu’il juge le plus apte à devenir l’agent de ce progrès, et il lui révèle sa pensée. Il s’opère alors entre Dieu et l’esprit de cet homme un contact immédiat, dont le mode est pour nous incompréhensible peut-être, mais de la réalité duquel les faits mentionnés plus haut ne nous permettent pas de douter. Ce contact direct avec la présence de Dieu ne peut manquer de produire une commotion profonde chez celui qui en est l’objet, et c’est cette vibration spirituelle de l’esprit de l’homme au souffle de l’Esprit divin qu’on a désignée, dès les temps les plus anciens, par le nom d’inspiration. Elle se fait sentir avec le plus d’intensité chez l’organe immédiat de la révélation, mais elle se propage, à un moindre degré de force, chez tous ceux qui reçoivent de sa bouche connaissance de la pensée divine, de sorte que le milieu tout entier où a lieu l’acte révélateur participe en quelque mesure à l’état d’élévation spirituelle dû à cette communication d’en-haut. Le fait de l’inspiration se reconnaît à deux traits qui sont très sensibles dans nos écrits bibliques et qui les distinguent de tout autre livre. l’un est de nature positive c’est l’intérêt absorbant de la gloire de Dieu. l’Eternel s’est manifesté lui-même, il a fait surgir dans l’esprit de celui qu’il a choisi pour agent l’intuition lumineuse de ses desseins de grâce et de sainteté ; il lui a communiqué une force qui doit devenir créatrice dans le développement de son œuvre ; un rayon de sa gloire est descendu dans cette âme ; le feu du zèle, d’un zèle consumant, s’y est allumé. À ce premier trait de nature positive en correspond immédiatement un second d’un caractère négatif : l’anéantissement, du moins momentané, chez l’instrument choisi de Dieu, de la recherche du moi, du soin de sa personne et de sa gloire, de la confiance en sa propre force et en sa propre sagesse. Là où Dieu paraît, l’homme s’efface ; il disparaît comme individu et comme membre de son peuple. l’amour-propre personnel, l’esprit de parti, la gloriole nationale n’ont plus le droit de parler là où Dieu a fait entendre sa voix. Et c’est là précisément le caractère qui nous frappe en lisant les pages même les plus prosaïques de l’Ecriture sainte. Tout est pour Dieu ; rien pour l’homme. De là l’objectivité calme et en quelque sorte impassible, avec laquelle sont racontées les scènes les plus émouvantes ; de là la sincérité avec laquelle, sont dévoilés les péchés du peuple et de ses héros, les chutes d’un Moïse et d’un Aaron, les faiblesses d’un Samuel les actes honteux d’un David, les égarements d’un Salomon, les fautes d’un Ezéchias. Qu’on relise les jugements sommaires portés sur les règnes des rois, les tableaux pleins de franchise des dispositions morales et de la conduite du peuple entier ! Du commencement à la fin de cette sainte histoire, nul n’est épargné ; tout, homme est jugé, même les interprètes de la pensée de Dieu, les prophètes, tels qu’Elie, Nathan, Jonas, nous avons déjà nommé Moïse et Samuel, de telle sorte que si, au point de vue de la grâce et de l’élection divine, Israël est le premier des peuples, au point de vue de la conduite religieuse et morale il apparaît comme le plus coupable et le plus endurci de tous, « le peuple de col roide », « le serviteur dur et aveugle » comme aucun autre. Il y a plus ici que le jugement de la conscience israélite ; il y a celui de la sainteté, divine elle-même. Chaque historien profane cherche plus ou moins à glorifier sa nation, son parti. Ici, l’histoire n’a de parti pris que pour Dieu. C’est le seul être que le document biblique glorifie. Il suffit de ce caractère pour savoir si ce livre est inspiré par l’esprit, de l’homme ou par celui de Dieu. On n’a jamais vu que la tendance propre de l’esprit humain ait été d’exalter Dieu et d’abaisser l’homme. Ce trait incomparable des écrits sacrés se rattache à celui que nous avons signalé en premier lieu, leur composition à une époque encore toute frémissante de l’ébranlement dû à l’action révélatrice et au contact immédiat de l’apparition divine. Il ressort d’une manière plus frappante encore quand nous comparons les écrits bibliques avec les livres juifs qui ont paru durant la période qui a séparé le dernier des prophètes de la venue de Jésus-Christ. Qu’on ouvre, par exemple, les livres des Maccabées, et l’on n’en aura pas lu quelques pages que l’on verra se dresser devant soi, avec toute sa satisfaction de lui-même, cet esprit national juif que dans les livres de l’Ancien Testament l’Esprit de Dieu avait constamment tenu en bride12.
    Cette inspiration ne saurait empêcher toute erreur. Mais elle bannit chez l’écrivain toute recherche vaniteuse du moi, toute préoccupation intéressée, nationale ou personnelle. Et n’est-ce pas ce mode d’inspiration que l’apôtre avait en vue quand il disait :
    « Tout écrit divinement inspiré est utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour former à la justice, afin que l’homme de Dieu soit préparé pour toute bonne œuvre » (2 Timothée 3:16-17) ?

La Bible est l’écho le plus immédiat de l’œuvre et des révélations divines pour le salut de l’humanité. C’est le document voulu de Dieu et inspiré par lui, pour en conserver au monde la connaissance authentique. Mais la Bible est quelque chose de plus que cela. Monument du travail passé de Dieu, elle est encore l’agent de son travail actuel et futur. Elle reste, jusqu’à la fin des temps, le moyen indispensable par lequel se continue l’œuvre rédemptrice. Il n’est pas difficile de se représenter ce que deviendrait dans le monde et dans chaque âme l’œuvre du salut, si la Bible venait à manquer.

Sans doute l’union de l’Esprit divin et de l’esprit humain, dont, la Bible est le fruit, reste pour nous un mystère. Il n’en est pas moins vrai que ce fait sublime s’impose à notre conscience, et que tout fidèle qui se fait de la lecture journalière de la Bible une sainte habitude, peut ratifier ce mot d’un théologien de nos jours13 : « D’autres livres me parlent de Dieu, dans la Bible, c’est Dieu qui me parle de lui-même ».

Puisse la publication de la Bible annotée faciliter à plusieurs l’intelligence et l’appropriation du contenu de ce livre, que l’on pourrait appeler le Journal des relations entre Dieu et l’homme ! Puisse-t-elle contribuer à créer dans nos églises de langue française un nombreux public, qui, avide de se nourrir journellement de l’aliment descendu du ciel pour donner la vie au monde, le trouve et le reçoive en Jésus-Christ, la substance des Ecritures juives et chrétiennes ! Ce sont elles qui nous apprennent à le connaître, Lui qui devait venir, qui est venu et qui revient !

À Lui, dans l’unité avec le Père, soit la gloire !

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